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Actualité des maux croisés, pérégrinations ad libitum d'un psychiatre des sympathies, des perplexités paradoxales & des hégémonies culturelles...

Croiser l'actualité, les maux qui la parlent et les mots qui la hantent...

Malaise dans la "transition" culturelle, 6. "Décontenanciation psychiatrique" face aux "spectres" des conflits de "thêmata" & "contenance psychique" d'une prise de parole "transitionnelle", avec le marxiste hétérodoxe Ernst Bloch, le physicien-philosophe Gerald Holton, le psychanalyste Guy Le Gaufey, le psychiatre Mathieu Bellahsen et le neuro-philosophe Lionel Naccache...

Publié le 15 Janvier 2024 par Serge Aron

Entre "équations mathématiques universelles" de sciences physiques objectives & "analyse thématique" littéraire subtile de la singularité subjective de leurs auteurs, le physicien Gerald Holton pointe l'ombre métaphysique d'un malaisant conflit…

Entre "équations mathématiques universelles" de sciences physiques objectives & "analyse thématique" littéraire subtile de la singularité subjective de leurs auteurs, le physicien Gerald Holton pointe l'ombre métaphysique d'un malaisant conflit…

Passés quelques chapitres introductifs, nous entrons désormais dans le vif du sujet: le vocabulaire de la "transition" est-il témoin, traitement ou responsable au contraire du malaise qui affecte aujourd’hui le champ métaphysique de la culture ?...

Pour rendre compte des formes très variées d’"autisme" ou plus généralement du champ de la "psychose", la psychiatrie contemporaine convoque cette curieuse notion de "spectre" qui évoque la figure du revenant actualisant un lointain passé problématique. De quelles histoires anciennes non digérées serions-nous comptables aujourd’hui, qui par d’incessantes ruminations hanteraient un présent par trop "décontenançant" ?

La culture de la "transition" viserait-elle la facilitation d’un "transit" douloureux dont nous ne parviendrions pas à nous exonérer ? L’oralité d’une "parole" adressée saurait-elle rendre compte et "contenir" ce souci récurent des annales "thématiques" indigestes de vieux conflits thématiques qui - à l’instar de celui qui oppose scientificité physique objective et révélation métaphysique subjective - demeuraient irrésolus ?

À l’heure des dérèglements climatiques, de la fonte des utopies congelées des partis de gauche et de la rechute autoritariste des partis de droite l’urgence ne serait-elle pas de relire Ernst Bloch, auteur de "L'Esprit de l'utopie" et de "Le principe espérance" ? Sorte de préconscient imaginal, distinct de la conscience comme de l’inconscient, l’"espérance" relève selon Bloch de la rêverie diurne, cette "transition" messianique entre rêve et réalité supposant une disponibilité à soi-même aujourd'hui massivement entravée par les très nombreuses sollicitations de nos existences diverties

Dans l'émission "La philosophie autrement" du 7 mai 2004 sur France Culture le blochien Arno Münster expliquait: « Que signifie espérer dans cette philosophie? Il faudrait comprendre que l’espoir pour Ernst Bloch n’est pas à confondre avec la confiance aveugle dans l’avènement d’un monde meilleur ou avec la confiance aveugle dans le progrès. L’espérance, Bloch le précise, il faudrait la comprendre comme "Docta Spes", c’est-à-dire une science des possibilités concrète de la transformation du monde, fondée sur l’analyse critique des situations concrètes. Cet espoir n’est pas une espérance quelconque d’une quelconque théologie de l’espoir mais c’est plutôt un travail comme dit le texte, un travail dirigé principalement contre l’angoisse, qui occupe un rang si important et si privilégié par exemple dans la philosophie existentielle de Kierkegaard ou dans l’ontologie phénoménologique existentiale de Heidegger, ou celle de Sartre dans "l’Être et le néant". Pour Ernst Bloch, l’espoir est principalement et fondamentalement un affect, un affect qui sort de lui-même, qui agrandit les hommes au lieu de les diminuer, et le travail de cet affect réclame des hommes qu’ils se jette activement dans le devenir. »

Bloch se demandait de quoi aurait accouché l’"expressionnisme allemand" des années 20 si le nazisme ne s’était pas dramatiquement employé à torpiller en plein vol son élan culturel. Avec lui on pourrait s’interroger sur les perspectives thérapeutiques avortées de cette psychiatrie humaniste décimée par le numerus clausus et le management pharmaco-administratif qui aujourd’hui a pris sa place. Ernst Bloch invite à repenser aujourd'hui ce "temps inassouvi" de l’épanouissement de l'"esprit psychiatrique" que le scientisme de l'époque contemporaine s'est employé à mortifier. La psychiatrie n’était-elle pas cette discipline paradoxalement et "scientifique" et "littéraire" des "dualismes" qui précipitent en affect "bipolaire", ou plus généralement des "thématiques conflictuelles" qui rendent "malade" ?...

Par la nature ontologique du questionnement qui affecte les physiciens qui la théorisent, la "physique du réel" n'a-t-elle pas de même toujours été aussi "métaphysique culturelle" ?...

Playlist contenante à thématique décontenançante...

De culture tout-à-la-fois scientifique & littéraire, le bachelardien Gerald Holton n'aura de cesse sa vie durant de montrer que la démarche scientifique et la démarche littéraire, philosophique ou artistique sont bien plus proches qu'on ne le pense habituellement. Soumettant textes et correspondances de scientifiques reconnus à une "analyse thématique" habituellement plutôt réservée aux textes littéraires, Holton met au jour les ressorts culturels tant personnels que socio-historiques situés à l'arrière-plan "imaginal" des théories scientifiques, et découvre que ces ressorts relèvent le plus souvent de "confits de thêmata" archaïques "inconscients".

« Comment la science se constitue-t-elle en réalité ? Qu'en est-il de la réalité instituée par la science ? (…) Son investigation s'inscrit dans le cadre d'une épistémologie génétique, soucieuse des déterminations psychologiques - et sociales - de notre savoir, assise sur une méticuleuse entreprise de critique historique. Son expérience de physicien et de pédagogue, autant que ses recherches historiques, l'amène à révoquer en doute l'image de la science - celle que s'en font ses partisans et ses détracteurs, et à laquelle souscrivent les scientifiques eux-mêmes. La construction inductive-déductive de l'empirisme rationaliste n'intervient que dans le contexte de justification, seul pris en compte par la "science publique". Mais le contexte de découverte met en jeu les options personnelles du chercheur, son intuition expérimentale et théorique - la "science privée", faisant fond sur un répertoire relativement stable de "thêmata" d'ordre esthétique, informant l'image du monde mise en place par la science : la création scientifique est aussi œuvre d'imagination. Par une telle problématique, M. Holton pose la science comme fait culturel total. Il s'agit de lever le malentendu historique entre science et philosophie, humanisme et technologie : par une meilleure appréhension de la science et de ses méthodes, accéder à une compréhension plus complète de notre civilisation, et de nous-mêmes. » (Gerald Holton, L'Imagination scientifique, 4ème de couverture)

Remarquable résumé de cette "thématique" autour de laquelle gravite probablement l’entièreté de cette série d'articles sur le malaise dans la transition culturelle. Renvoyant au sous-titre de l’ensemble de mon blog - « Croiser l'actualité, les maux qui la parlent et les mots qui la hantent » - sans doute cette opposition entre "science publique" et "science privée" tente-t-elle à sa manière de circonscrire cette dialectique infernale qui depuis toujours "m'affecte"

Il y a un peu plus de 10 ans, Hantologie de Mots fut mon premier article publié sur ce blog. Il croisait avec le concept derridien d'"hantologie" le tempo musical paradoxal d'une actualité - paradoxalement présente - de traces "archaïques" troublantes du passé que véhiculent à notre insu des "mots" ou des formules toutes faites d'un langage "courant" à toute allure à la rencontre de ses fantasmes d'époque.

Chargés du poids d'une histoire traumatique singulièrement collective, certains "mots" gros de "maux" nécessitent qu'on en prenne grand "soin"…

Or de grands manitous de l'intelligence artificielle seraient en passe de convertir en monnaie profane sonnante et trébuchante le plus sacré de nos temples, le langage lui-même. "Acheter le langage", c'était encore ce Pascal Chabot rencontré dans le précédent chapitre (cf. Malaise dans la transition culturelle, 5. la "transition" comme "changement désiré", avec le chronosophe Pascal Chabot) qui explorait en 2018 cette funeste perspective dans une pièce de théâtre…

Cet infatigable Chabot chatte mieux qu'un robot! À travers maux & mots du langage de l'époque il s'est aventuré dans l'écriture d'un spectacle dont le titre intrigant pourrait "transir" d'effroi jusqu'aux geeks les plus technophiles: "L'homme qui voulait acheter le langage"…

Par-delà pourtant la logique utile de la maximisation des "profits" et des "jouissances" se tisse une culture du subtil. Ce "subtil" que promeut Chabot contient une métaphore venue des tisserands. « Depuis leurs points d'observation, les êtres en transition dénoncent un voile qui recouvre le monde. Une nappe de concepts et d'idéologies masque certains aspects fondamentaux de la réalité. S'ils interrogent cette couche de significations imposées au réel, c'est qu'ils soupçonnent qu'il existe en dessous un domaine préservé du culte de la marchandise et des maximas. » (Pascal Chabot, L'Âge des transitions, p. 57) Sous ce voile se cache le "sub-tela", terme de tisserands désignant ce qui se passe sous les fils de la chaîne.

Cette métaphore du tissage et de la trame est celle aussi qui sous-tend la théorie lacanienne de "l'inconscient structuré comme un langage". Une chaîne de signifiants en constituerait la trame. Par-delà toute logique "utilitariste" du calcul savant d'un bonheur commun se cache un langage équivoque conduisant chaque "sujet" à dire à son insu une trame signifiante "subtile" cachée sous le voile signifié de ce qu'il croit "utilement" dire

"Parler" est un acte performatif, une "expérience transformatrice" susceptible de nous révéler à nous-mêmes, car l’"énonciation" latente qui souvent ne prend sens que dans l’après-coup dit quelque-chose de plus que le seul "énoncé" manifeste…

À l'image du "Docteur invincible" - ce théologien, logicien et fine lame de la philosophie nommé Guillaume d'Ockham soucieux en son XIVe siècle de raser les théories imaginaires fumeuses - la logique "utile" de l'"evidence based medecine" propose de ne se concentrer que sur la seule "rationalité" de faits tangibles manifestes.

À l’heure de la domination hégémonique de discours religieux empreint de superstition, Ockham fut révolutionnaire…

Afin de rendre raison de ces mêmes faits tangibles, la logique "subtile" des tisserands Bachelard, Freud et Holton invite quant à elle au contraire à convoquer la "transcendance brute" d'un savoir "intangible" et par conséquent "inconscient". Seule la puissance intuitive d'un "imaginal" éclairé par les expériences "révélatrices" fondamentales de la vie saura présenter à la "raison" de quoi sustenter son goût kantien intarissable de la pure critique.

À l’heure de la domination hégémonique des discours scientistes, Freud, Bachelard et Holton sont plus que jamais révolutionnaires…

Mariés pour le meilleur comme pour le pire, "raison" consciente "utile" & "imaginaire" transcendant "subtil" forment ensemble l'"incomplétude" d’un "couple" symbolique conflictuel paradoxalement inscrit tout-à-la-fois dans le "contentieux" de l'opposition "rivale" & la "contenance" de la "complémentarité"…

Sur la scène imaginale privée des contentieux conjugaux qui "décontenancent" se jouent les conflits publics de l'incomplétude de la "contenance" scientifique, et inversement des contentieux conjugaux privés vécus sur l’oreiller s’invitent volontiers en retour sur le champ de bataille scientifique des conflits publics…

Sans doute sommes-nous confrontés ici à un de ces "conflits de thêmata" qui hantent l'histoire conjugale des idées et troublent les esprits par ses controverses scientifiques & théologiques récurrentes. À l'occasion des dernières Journées Nationales de la Psychiatrie Privée de septembre 2023 à Angoulême consacrées à l'"Éthique du doute" cette notion de "thêmata" fut exposée avec pertinence par le bien nommé Thierry Toussaint - psychiatre néanmoins de métier - dans une intervention portant pour titre "Le spectre du trouble".

Thierry Toussaint fit référence au mutisme soudain éprouvé une dizaine d’années plus tôt par le psychanalyste Guy Le Gaufey à l’occasion de la sortie du livre "Structure, logique, aliénation" publié par son confrère François Balmès. Le Gaufey raconte cet événement singulier dans un texte intitulé "Conflits de thêmata": « Je n’ai trouvé de secours dans cet affrontement diamétral qui me laissait coi face au livre de Balmès que dans la notion de "thêmata" élaborée il y a déjà pas mal de temps par ce grand historien des sciences que fut Gerald Holton. Par ce mot qu’il introduisait en plein cœur de la rationalité scientifique, Holton entendait des croyances tenues pour des évidences indiscutables par des scientifiques de renom. Il les présentait comme un "prototype d’explication [qui] est une prise de position thématique (thematic commitment). Ce n’est pas une nécessité logique ou expérimentale" (Gerald Holton, The Scientific Imagination. Cases Studies, 1978, p. 20) ».

Sur quoi portait ce différend entre Le Gaufey et Balmès ? Sur l’utilisation précisément de ce concept subtilement éthéré d'"être" dans l’œuvre tant poétique que scientifique ou philosophique du psychiatre-psychanalyste Jacques Lacan. « Autant j’ai pu insister sur le fait que le sujet barré est conçu par Lacan comme dépris de tout être, autant Balmès n’aura eu de cesse de faire valoir, avec beaucoup de cohérence à mon avis, que Lacan ne cesse de parler d’être, bien au-delà de sa période, disons, "heideggérienne". »

Étrange expérience que celle de se sentir partiellement en accord avec un confrère qui soutient l’exact inverse de ce qu’on soutient soi-même avec passion depuis toujours dans l’ensemble de son œuvre! …

"Contraria sunt complementa" peut-on lire sur les armoiries d'inspiration taoïste du génial physicien quantique Niels Bohr. Un Niels Bohr qu'en raison de "conflits de thêmata" le physicien de la relativité Albert Einstein aurait lui-même parfois eu grand mal à suivre…

"Contraria sunt complementa" peut-on lire sur les armoiries d'inspiration taoïste du génial physicien quantique Niels Bohr. Un Niels Bohr qu'en raison de "conflits de thêmata" le physicien de la relativité Albert Einstein aurait lui-même parfois eu grand mal à suivre…

Avec une lumière tour à tour décrite comme ondulatoire ou corpusculaire, avec des particules atomiques si sensibles à la mesure d'un observateur que leur vitesse et leur position seraient à jamais inconnaissables en même temps, les sciences physiques ont la fâcheuse tendance à "décontenancer" ceux qui s'y collent.  Alors même que Nils Bohr - avec sa "théorie de la complémentarité" - et Werner Heisenberg - avec son "principe d'indétermination" - se sont appliqués leur vie durant à assumer les paradoxes inhérents à l'opposition de la physique classique continuiste et de la physique quantique discrète, Albert Einstein de son côté se refusera farouchement à prendre acte de cette vision irréductiblement complexe et paradoxale du réel et continuera inlassablement à rechercher cette loi unitaire qui embrasserait et dissoudrait enfin leurs embarrassantes contradictions.

Étrangeté paradoxale des "conflits de thêmata": comme Yin & Yang dans le taoïsme chinois, comme les rives opposées du fleuve héraclitéen dans lequel on ne se baigne jamais deux fois, ne conviendrait-il pas avec Nils Bohr de tenir "contraire" & "complémentaire" comme à-la-fois synonymes & antonymes ?...

« Mais une fois repéré que la bouteille est à moitié pleine ou à moitié vide, dès que l’un fait valoir son point de vue, éminemment partiel pour des raisons très contraignantes de cohérence interne du propos, il devient impossible à l’autre de le laisser s’avancer et gagner tout le terrain. Et comme c’est logiquement une contradiction, et non une contrariété, il n’y a pas de moyen terme, de synthèse astucieuse qui viendrait harmonieusement articuler les deux positions », déplore Le Gaufey.

Ce différend intime un temps éprouvé par Le Gaufey dans l’impossibilité d’une prise une parole pourtant habituellement facile suggère un inconciliable radical que rien semble-t-il ne pourra jamais apaiser que l’humble silence face à la redoutable complexité du réel.

« Avec de tels thêmata, chaque camp, pour autant du moins qu’il songe à se constituer comme tel, se dépêche de prédire un sombre avenir aux partisans de l’autre camp : du côté du "pas d’être, pas d’origine", on laisse entendre que celles et ceux qui en pincent pour l’être ne vont pas tarder à rejoindre le bercail religieux qui, patiemment, attend les psychanalystes en mal de consistance théorique. Du côté des partisans de "l’être et l’origine", on ne voit dans ceux d’en face que des suiveurs qui ne lisent dans le texte lacanien que ce que certains leur indiquent impérieusement du doigt, sans prendre soin d’en mesurer la complexité », remarque avec lucidité Guy Le Gaufey.

Les conflits de thêmata conceptualisés par Holton mettent ainsi en lumière une dimension "tragique" de la connaissance, caractérisée par sa tendance à répéter son aliénation mortifère à l'endroit de vieux "couples" dualistes. "Contraire" versus "Complémentaire", "Corps" versus "Esprit", à l’instar semble-t-il des conflits israélo-palestinien ou russo-ukrainien qui enflamment l’époque, tout se passe comme si la "transition" culturelle à l'heure de la "mondialisation" nous enfermait collectivement dans l'aigreur malaisante de conceptions originelles diamétralement incompatibles…

« To be or not to be? », s’interrogeait Hamlet. Comme en écho au souvenir personnel un rien shakespearien évoqué dans le premier chapitre concernant cette séance où sur le divan de ma psychanalyste la question de mon identité personnelle ou de mon être m’avait moi-même laissé « coi », je ne peux que constater ici cet effet sidérant du conflit de "thêmata" tragiquement épineux de l’"être" et du "non-être" sur la prise de parole. (cf. Malaise dans la "transition" culturelle, 1. "Qui suis-je", tandis que je "transite" ?)

Il y a du "manque à être" chez cet "être" sans voix qui néanmoins prend consistance dans l’étrangeté d’une "parole"…

Une des particularités de l’époque réside dans l’importance nouvelle des "corps" dans la vie. Les jeunes adeptes de la culture physique sont beaucoup plus sportifs que leurs aînés et poussent parfois leurs corps dans de tels extrêmes qu’un marathon ferait figure de promenade de santé. La pratique du tatouage s'est elle-même considérablement étendue. Et c’est aussi par l’action hormonale et chirurgicale sur les corps que s’expérimente aujourd’hui ces très nombreuses demandes de "transition" ou de "réassignation de genre".

"Avoir un corps" serait-il de nature à faire réponse au "manque à être" ?...

Dans son approche de la "psychologie des hommes de sciences", Gerald Holton constate et déplore que nombre de scientifiques manifestent une "sensibilité" particulière aux "problèmes sociaux" et - un peu à la manière du bien nommé professeur Tournesol concerné davantage par la rectitude apparente des Lumières célestes que par la triviale équivoque des sons émis par ses congénères - se détournent de la "socialité" au profit d'un commerce solitaire "autistique" avec la "matière" minérale ou organique. C'est en pédagogue soucieux de promouvoir une « pensée gens-et-choses » qu'il œuvra à l'introduction « d'aspects littéraires et culturels » au sein des cursus scientifiques. Il n'a manifestement pas réussi à inverser la tendance, et au sein de la médecine la "psychiatrie" elle-même est rattrapée aujourd'hui par cette patrouille "instrumentale" de l'"organique".

Devenue "cérébrologie" au sein du "système contentionnaire" dénoncé par le psychiatre Mathieu Bellahsen la psychiatrie dans son ensemble tend à être reléguée à un "logos" de spécialistes des traitements médicamenteux voire magnétiques supposés agir directement sur l'organe "cerveau". Comme la médecine dite générale qui se préoccupe de la santé de ses patients plus que des courbes de leurs constantes biologiques, comme aussi la pédiatrie et la gériatrie, la "psychiatrie" se rapportait jusqu'ici bien plus au "soin médical général" que nomme le suffixe "iatros" qu'au "logos" de théoriciens spécialistes de tel ou tel "organe".

Le psychiatre Mathieu Bellahsen s'insurge contre les dérives du "système contentionnaire" qui se propose de manager en "cérébrologue" des flux de patient privés d'interlocuteur "psychiatrique" véritable. Soucieux avant tout de soutenir une "prise de parole" possiblement émancipatrice, les propos de Bellahsen engagent la métaphysique de l'"âme", de l'"esprit", du "sujet" ou de l'"être" plus que la seule matérialité physique organique des "corps"…

« En juillet 2021, le psychiatre Mathieu Bellahsen a été démis de ses fonctions de chef de pôle au terme d’une enquête administrative. En mai 2020, il s’opposait à l’enfermement systématique de patients justifié par le confinement », note le journal Mediapart. (Caroline Coq-Chodorge, À Asnières-sur-Seine, un service de psychiatrie détruit pour avoir défendu les droits des patients, Mediapart, 28 septembre 2021) « La crise au sein de l’hôpital de Moisselles a débuté pendant le premier confinement, quand plusieurs services de l’hôpital ont choisi d’enfermer systématiquement les patients psychiatriques à leur admission, pendant 72 heures, et même jusqu’à 14 jours dans un service de l’hôpital. Mathieu Bellahsen a rapidement mis en garde l’hôpital sur la confusion entre le confinement et l’isolement psychiatrique, qui doit être justifié médicalement. »

(…)

« Officiellement, la crise du pôle d’Asnières part d’une lettre adressée à la direction le 14 mai 2020, 6 jours après l’alerte au CGLPL [Mathieu Bellahsen avait en effet alerté le Contrôleur Générale des Lieux de Privation de Liberté], point de départ d’une enquête administrative de plusieurs mois. Elle est signée par "l’équipe infirmière de l’extra-hospitalier". Elle pose "la question de harcèlement, d’abus de pouvoir et de maltraitance" de la part du chef du pôle. Elle reproche des "décisions unilatéralement prises" comme la création d’un groupe d’entraide mutuelle, l’embauche d’un éducateur spécialisé à la place d’un infirmier, ou encore le fait qu’une psychomotricienne se substitue à un infirmier dans les visites à domicile » …

Encore une de ces administrations managériales bureaucratiques qui s'est approprié le pouvoir au sein d'un hôpital ou d'un service médico-social et se saisit des tensions sociales institutionnelles pour se débarrasser à peu de frais d'un chef de pôle orienté précisément par cette "psychothérapie institutionnelle" soucieuse de soigner de l'institution pour qu'elle demeure soignante. La crise Covid a bon dos, dans nombre d'institutions de soin on licencie ces psychiatres qui se refusent à considérer la "contention physique" comme un soin et - contre la mode actuelle de l'"emmurement du monde" - s'évertuent dans leur service à maintenir autant que faire se peut la "libre ouverture des portes"… (cf. Petite musique de chambre d’un "psychiatre à l’isolement" suffisamment "fou" pour conjoindre à la critique d'une prétendue "modernité" managériale l'aspiration au concert de la refondation culturelle du "climat de soin" & du "soin du climat")

Les médias ne cessent d'en témoigner, la vogue politicarde est à l'"enfermement" de flux de patients traités comme des "corps étrangers", des "migrants sans papiers" voire des "terroristes présumés", "fichés S" ("S" pour "susceptibles") au "Fichier des personnes recherchées (FPR)" du ministère du repli Intérieur… (cf. Popularité paradoxale de la notion de sécurisation du parcours de l'usager, quand protection des populations et spectre d'un certain neurocentrisme autistique troublent le génie démocratique des pérégrinations philosophiques à l'impromptu)

Au sein de cette culture hégémonique de l'"enfermement" le soin comme "ouverture" est-il dans l'époque encore pensable ?...

Devenu zadiste d'une psychiatrie "à défendre" de toute urgence, cet auteur d'un blog sur Mediapart a publié il y a peu "Abolir la contention: Sortir de la culture de l'entrave". En lutte contre l'épidémie contemporaine de pratiques psychiatriques de "contention" physique des corps cet humaniste médiatique se voit paradoxalement condamné à vivre dans le "contentieux" juridique. Habité par la noble distinction éthique de la "contention" physique indigne des corps et de la "contenance" psychique par le lien de parole, Mathieu Bellahsen est paradoxalement lui-même rattrapé par la mise en "tension" et la contrainte de devoir mener le combat contre ses adversaires politiques et idéologiques plutôt que pratiquer son métier habituel de psychiatre et rassembler, accorder et apaiser dans la "contenance" ces "conflits psychiques de thêmata" qui rendent malade.

« On se sert de la "contenance" pour faire de la "contention" », expliquait-il au séminaire Des idées en psychiatrie à l'ASM13 le 9 novembre 2023. C'est en effet une stratégie désormais bien réglée, les "managers bureaucrates des unités de soin" utilisent une "thématique" éthique centrée sur le "droit des usagers" ou l'"inclusion des personnes handicapées" pour abattre au nom de la "désinstitutionalisation" et de la lutte contre les "emprises sectaires" des "structures de soin" pourtant reconnues pour leur culture et leur goût du "service public"

Tout discours sociologique, politique ou psychiatrique rappelant l'importance du contexte social ou historique et de l'ambiance générale quant à la souffrance subjective individuelle est désormais disqualifié tandis que les descriptions pourtant datées de Karl Marx sur l'"aliénation" comme devenir étranger à soi-même ou de Georg Lukács sur la "réification" comme devenir chose ou objet de discours d'experts retrouvent une actualité toujours plus inquiétante.

L'idéologie managériale néolibérale ne souffre aucune exception à son mode de fonctionnement hégémonique centré sur la "matérialité" des corps et la "réification" des esprits et qualifie d'"emprise hérétique sectaire" toute prise de parole "intellectuelle" interrogeant la brutalité de son autoritarisme…

À l'image du révolutionnaire Darwin situant homme et singe dans un parcours évolutif commun, en cette période de dérèglement climatique les plus avisés de nos intellectuels s'emploient pourtant dans une culture de la "transition" à réinterroger les frontières homme/animal, centre/environnement, sciences/lettres ou sociologie/biologie et élargir l'approche "sociale" de nos interdépendances terrestres par-delà les frontières nationales ou disciplinaires, et par-delà aussi les frontières classificatoires en "espèces", "classes", "races" ou "genres" qui firent le génie des botanistes du XVIIIe siècle. Ouvrant son étude sur "Les structures fondamentales des sociétés humaines" à l'apport de biologistes, éthologues, paléoanthropologues, préhistoriens, anthropologues et autres historiens, dialoguant aussi dans "L'interprétation sociologique des rêves" avec la psychanalyse freudienne, le sociologue Bernard Lahire compte au nombre de ces intellectuels transdisciplinaires, nous y reviendrons dans un chapitre ultérieur…

Tout se passe aujourd'hui comme si le corps biologique devait être le lieu où s'expérimentent les transitions, comme l’illustre aussi le film "Le règne animal" du cinéaste Thomas Cailley mettant en scène une épidémie humaine de mutations en sphinges hybrides homme-animal. Les mutants s'y voient enfermés dans des camps ou hôpitaux très peu hospitaliers entourés de hauts murs tandis que le personnage joué par Romain Duris répète à l'envie cette citation de René Char tirée de "Fureur et mystère" que ne désavouerait pas Mathieu Bellahsen : « Tout ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience »…

Le conflit de thêmata animal/humain ou corps/esprit règne en maître sur les écrans médiatiques. "Le règne animal" se présente comme un film transitionnel inclassable, entre dystopie, science-fiction, fable poétique et drame familial père/fils intimiste autour notamment de "transitions" psycho-corporelles de l’identité à l’adolescence…

Il y a du "trouble" dans la "mutation" culturelle génétique transitionnelle…

« J’attends ma mutation », plaisante Thomas Cailley par la voix d'un gendarme jouée par la comédienne Adèle Exarchopoulos. Comme le psychiatre Mathieu Bellahsen, dessaisie de l'affaire alors qu'elle était éthiquement engagée dans sa mission républicaine de service public, la gendarme se montrait elle aussi davantage soucieuse de secourir les "victimes" humaines d'une mystérieuse pandémie que de pourchasser et enfermer dans des hôpitaux-prisons ces "créatures en transition" réifiés en migrants-mutants qui troublent l'époque.

Seule une "prise de parole" adressée en personne à un interlocuteur "ouvert" à la transition troublante de l’inattendu permet de se soustraire à l'"aliénation réifiante" qui rétrécie l'époque…

Un "corps" réifié qui se met à "parler" à quelqu'un quitte son statut objectal pour donner à entendre la résonance subjective musicale d'une "âme".

Qu'est-ce qu'une "âme" sinon cette aura spirituelle éthéré de l'"être" qu'il est physiquement impossible d'"avoir" ?...

Du tangible corporel donne ainsi la parole à du spirituel intangible, de la "matière objective" émane d'un "esprit subjectif" immatériel, de la même façon que par sa "raison" le scientifique se plait à "imaginer" ou "informer" la matérialité d'un "réel" qui ne cesse pourtant de se dérober à son entendement. La subtilité d’un "ordre" mathématique préside-t-elle au "désordre" apparent du réel - comme le pensaient Newton ou Einstein - ou le "désordre" est-il premier - comme le suggèrent Bohr ou Heisenberg ? Le réel du "désordre" est-il condamné à être religieusement masqué par la croyance en un "ordre" sous-jacent, ou faudrait-il au contraire considérer cette "croyance imaginale" non comme une superstition à quitter mais comme une expérience de pensée possiblement féconde ? Voilà bien une contradiction ou un "conflit de thêmata" en mesure de laisser "coi" celui qui voudrait la penser simplement, hors toute complexité paradoxale…

De l’être advient au lieu de son manque, de sorte que l’être est où il n’est pas comme la simplicité jaillit de l'assomption complexe d'une duplicité paradoxale… (cf. Structure paradoxale du double: du désir au destin, du sacre matrimonial aux clowneries conjuguées, 1ère partie: double & identité)

C’est autour de ce thêma heideggéro-lacanien paradoxal de l’être qui n’est qu’en tant qu’il n’est pas que Le Gaufey resta coi face à l’opposition de Balmès. Tout se passe comme si l’auteur de "L’incomplétude du symbolique" s’était lui-même retrouvé confronté au vertige d’un manque à être, comme si la béance du "subtil" menaçait de se refermer sur l’"inutilité" de toute vaine parole

Un parfum de transgressive transition flotte sur ce vieux conflit de thêmata qui hante la personnalité, ce parfum subtil d’un franchissement transitionnel seul en mesure d’établir l'esquisse d'une solution de "continuité" au sein de ce réel de la "discrétion" peuplé d’irréductibles contraires.

Les travaux récents du neurologue et éminent philosophe des neurosciences Lionel Naccache illustrent encore ce "conflit de thêmata" décrit par Gerald Holton qui divise les physiciens. "Apologie de la discrétion : Comment faire partie du monde" et "Le Cinéma intérieur : Projection privée au cœur de la conscience" racontent - un peu comme sur une pellicule cinématographique - comment, avec une succession d'images "discrètes", nous nous faisons la "continuité" d'un film, ou comment, dans la solitude du doute cartésien quant à au réel, nous imaginons une relation de causalité ou un lien de continuité qui permettraient depuis ses immondes parties de tisser un monde unifié. Contre les idéologies continuistes volontiers autoritaires voire fascistes, le savant philosophe plaide pour l’éthique d’un atomiste sans vide, peuplé d'individus "discrets" capables de penser ou imaginer ce lien dénarcissisé à autrui qu'il nomme « comme si de continuité avec le monde »… (cf. aussi le passage sur Markus Gabriel auteur de "Pourquoi le monde n’existe pas" dans Obsession de l'obsolescence et de la dé-complétude des "diagnostics" psychiatriques, 3e partie: de la bougie à l'électricité, éclairage de l'opposition Psychose / Névrose)

Telle "discrétion" concerne aussi la relation de vrai-fausse "identité" entre les différents "moi" dans le temps qui ne prennent consistance "unitaire" continuiste ou « forme orthopédique de la totalité » - pour reprendre les termes lacaniens du "stade du miroir" - qu’au prix d’un travail incessant d’imagination toujours à soumettre à la pondération éthique modérée d’une pensée critique rigoureuse.

Entre discrétion radicale et continuité imaginaire, entre ces auteurs si différents que sont Gerald Holton, Mathieu Bellahsen ou Lionel Naccache, se dessine l’espace d’une réflexion éthique tant nécessaire que salutaire à l’horizon d’une société ou d’un monde toujours à imaginer et reconstruire…

Entre "discrétion réelle" et "continuité imaginaire", est paradoxalement quelqu’un en "personne" celui qui - comme Descartes - en doute, et qui - conscient de n’être "personne" en soi - prend le risque d’une "prise de parole" adressée à un "autre" qui pourtant ne pourra jamais le comprendre tout-à-fait...

« Je est un autre », par-delà le savoir rationnel attendu cette "parole" engage la "personne" dans la découverte de cette étrangeté inattendue qui "per" elle "sonne", lui révélant ainsi la nécessité d'élaborer un "récit imaginal subtil" de l'"identité" de cet "être" qui inconsciemment l’"affecte"…

Même si la logique de l’"être" confine à la "psychose", l’écoute de son "daimôn" qui parlait pour lui dans sa tête ne réduisait aucunement l’halluciné Socrate à une personne "psychotique"!…

Lorsqu’elle est humble, authentique et sincère la "prise de parole" permet de composer avec le thème paradoxal de l’"être" qui n’est qu’en tant qu’il n’est pas ou de l’"âme" qui n’existe qu’en tant que transcendance évanescente d’un "corps" matériel

Remarquons au passage que la question de la transition de genre qui bouscule aujourd'hui nos pratiques oblige nombre de chirurgiens, endocrinologues et psychiatres à partager leurs interrogations face à la recrudescence de demandes de "réassignation". Comment se fait-il que - pour apaiser un "questionnement identitaire" qui concernerait a priori plutôt leur "âme" - certains éprouvent la nécessité de recourir à des prescriptions hormonales conséquentes et des interventions chirurgicales radicales pratiquées sur un "corps" pourtant sain ? Ces redoutables tensions autour de la question du "genre" qui "affectent" le contemporain sociétal ne reprennent-elles pas sous une forme inédite ce bon vieux "conflit de thêmata" centré sur l'opposition dualiste entre matérialité substantielle corruptible des "corps" et essence spirituelle éternelle des "âmes" ?

Les promesses religieuses du "dataïsme" ou du numérique machinique "transhumaniste" invitent à fantasmer l'imminence d'une vie numérique éternelle par la grâce du téléchargement éternellement renouvelable de l'esprit dans la matière même d'un corps hybride homme/machine. Retrouvant son actualité perdue, le dualisme conflictuel de l'âme & du corps hante à nouveau les esprits aux dépends cette fois des psychiatres, psychanalystes, psychologues et autres intellectuels du champ social davantage habitués à lire dans les corps désirants la trace subtile d'un rapport singulier à la culture ou au langage qu'à intervenir sur l'anatomie des corps pour susciter une "transition" plus subjective que corporelle

Selon Gerald Holton de singuliers "thêmata" hantent la science pourtant toute mathématique des physiciens Einstein, Heisenberg, Schrödinger ou Bohr. Et ces mêmes "thêmata" se retrouvent aussi à l'arrière-plan des thèses sur la structure de l’inconscient des psychanalystes Lacan et Freud, de l'"atomisme" à consonance matérialiste de Démocrite, Épicure ou Lucrèce ou des sermons complexes de théologiens de l'Antiquité ou du Moyen-Âge… (cf. aussi Depuis l'incarnation d'un ordre névrotique normalisant jusqu'au choix intensément singulier d'une croyance hétérodoxe, de quelles hérésies paranoïa et perversion sont-elles le nom?)

« Il n’existe aucune voie logique menant des expériences sensibles aux axiomes », notait Einstein, cité par Gerald Holton dans L’Imagination Scientifique. La connexion, loin d’être nécessaire, serait intuitivement contrainte par ces croyances ontologiques fondatrices, globalisantes et indémontrables que Holton nomme "thêmata". Implicites, ces thêmata se présentent sous la forme de couples d’opposition du type ordre versus désordre, continuité versus discontinuité. Holton propose ainsi une liste non exhaustive de thêmata : atomisme/continu, simplicité/complexité, analyse/synthèse, invariance/évolution, liberté/destin…

Les affrontements diamétraux Symbolique/Imaginaire, Âme/Corps, Matière/Esprit, Ordre/Désordre, Génétique/Culturel, Acquis/Inné voire Gauche/Droite, Homme/Femme ou Neurosciences/Psychanalyse hantent et "troublent" aussi ce "thêma" du "spectre de l'autisme" qui ravage la psychiatrie et participe du malaise des "transitions culturelles" en cours, nous y reviendrons au chapitre suivant.

Ces thêmata qui résonnent à travers le temps et les époques successives semblent "s’imposer" au chercheur, de façon spontanée et évidente, sans doute parce qu’ils entrent en résonance avec des expériences vécues mémorables et résonnent avec des problématiques "personnelles"…

À la manière de Guy le Gaufey ou Thierry Toussaint, quiconque parvient à entrevoir au cœur des "thêmata" qui l’affectent en propre cette puissance indicible d’un "fantasme" primordial, d'une "croyance" culturelle indélébile voire d'une conviction "délirante" irrépressible ne peut qu'en être profondément saisi.

Tel l'inquisiteur et persécuteur de chrétiens Saül chutant de cheval sur le chemin de Damas, il y a de "quoi" en effet en rester "coi", et être saisi dès lors par l'urgence d'une "conversion" religieuse - Saül devenant Paul - ou plus prosaïquement d'une "transition" culturelle radicale…

Pour sortir de ce silence assourdissant du "quoi" qui laisse "coi" et tenter de dépasser ces oppositions antithétiques dualistes des "thêmata" le grand romantique de l'épiphanie philosophique nommé Hegel s'essaya à la réconciliation d’un "Esprit" de "synthèse" tout-à-la-fois universellement transcendant & singulièrement immanent. En sa formule "Deus sive Natura" le philosophe du naturel divin immanent nommé Spinoza se piqua de paradoxalité transcendantale, tandis que par l'énigme de cette autre formule "Dieu est Inconscient" l'a-théologien de la transcendance psychanalytique nommé Lacan se plut à incarner la transcendance transférentielle d’un génial "gourou"

« Les livres sacrés parlent de Dieu improprement, ils lui attribuent des mains, des pieds, des yeux, des oreilles. Ils le font se déplacer dans l’espace, lui prêtent aussi des mouvements de l’âme, tels que la jalousie, la miséricorde, etc. Et enfin ils le dépeignent comme un juge siégeant dans les cieux sur un trône royal avec le Christ à sa droite. Ils parlent en effet suivant la compréhension du vulgaire, que l’écriture tâche à rendre non pas docte, mais obéissant. Qui ne voit en effet que l’un et l’autre testament ne sont autre chose qu’une leçon d’obéissance, que le but auquel ils tendent est de faire que les hommes se soumettent de bon cœur ? La foi requiert moins des dogmes vrais que des dogmes pieux, c’est-à-dire capable de mouvoir l’âme à l’obéissance, sachant qu’il en est beaucoup parmi eux qui n’ont pas l’ombre de vérité, pourvu cependant qu’en s’y attachant on en ignore la fausseté, sans quoi il y aurait nécessairement rébellion », expliquait Spinoza. (Bento de Spinoza, Traité théologico-politique, chap. 13 et 14)

Héritier de cette religion matérialiste "hérétique" issue de Démocrite et Épicure qui situe le divin dans le lointain d’un arrière monde inaccessible indifférent au nôtre, Spinoza distingue ainsi la vraie religion - celle par exemple de la transcendance de la justice et de la charité - de la vaine religion - celle de la superstition d’un Dieu providentiel veillant sur sa progéniture humaine.

Inaccessible "synthèse" d’un réel "inconscient", Dieu se mue avec Spinoza, Hegel et Lacan en "objet transitionnel" évanescent d’un désir de vérité…

Expérience de pensée d’un concept tout-à-la-fois abstrait & concret, "Dieu" invite à "cogiter" une réponse au spectre intériorisé des "conflits de thêmata" quant à la subjectivité de l’"être" au sein d’une matérialité objective de l'"avoir". "Dieu" incarne ainsi le désir - via l’immanence "utile" des corps bruts - d’une transcendance "subtile" d’un "Être" qui donnerait son "sens" véritable à nos existences troublées et troublantes…

« Plus il y a d’être, moins il y a d’amour », écrivait Vladimir Jankélévitch dans "Les paradoxes de la morale". Fils d’intellectuels russes ashkénazes ayant fui les pogroms, Jankélévitch emprunte à la mystique chrétienne ce « je-ne-sais-quoi » qui, avec l’« ineffable » et le « presque rien » lui permet d’interroger la morale chrétienne et ses paradoxes. Philosophe de la morale, il partage avec le psychiatre et le moraliste cette double ascendance religieuse et philosophique quant aux questions métaphysiques du "sens de la vie". Fils d’un médecin oto-rhino-laryngologiste qui fut un des premiers traducteurs de Freud, contemporain de Lacan mais disciple plutôt de Bergson, Jankélévitch fut aussi le commentateur attentif des Ennéades de Plotin, ce tout premier psychanalyste-confesseur néoplatonicien de la chrétienté de l’Antiquité tardive et proto-maître Jedi du côté obscurément inconscient de la force qui préconisait: « rentre en toi-même et examine-toi » ...

N'être pas sûr tout-à-fait de son "être" et même plutôt d'en éprouver dans l'inquiétude un "manque" nous pousse telle la pauvre Pénia dans les bras enchanteurs d'un divin Poros ivre de plénitude. Cette histoire contée par Socrate dans le célèbre Symposium sur l'Amour - plus connu sous l'appellation "Le Banquet" de son compte rendu par Platon - met en scène un "couple" que tout oppose, Poros & Pénia, porosité & aporie, dont l'union charnelle permet l'enfantement d'Éros, divinité primordiale grecque de l'"amour".

Selon la philosophe écoféministe australienne Val Plumwood, ayant assuré la promotion du « centrisme hégémonique » du capitalisme phallogocentrique  colonial et extractiviste, la « culture rationaliste » serait responsable de la crise climatique actuelle. Appuyée sur un dualisme humain/nature cette culture de la seule raison voudrait aujourd’hui nous convertir au mirage de la « transition énergétique » sans mesurer que cette « futurologie hétérodoxe et mercantile (…) nous empêche de penser convenablement le défi climatique », comme le rappelle dans "Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie" le chroniqueur au Monde et historien Jean-Baptiste Fressoz. Ce dernier livre une analyse critique de « la carrière étrange de la transition », ce « slogan industriel » des années 70 paradoxalement élevé aujourd’hui au rang de concept majeur de l’écologie.

Malaise, disions-nous. Ce couplage paradoxal amoureux de l'emprise réciproque de rives contraires nous invite en effet à proposer une relecture de la "raison pure" kantienne et de l’"esprit absolu" hégélien articulée "en sympathie" avec son envers dialectique négatif aporétique. La transition culturelle éco-philo-psychanalytique de la "raison sympathique" que nous appelons de nos vœux ne saurait se satisfaire des gesticulations managériales pseudo rationnelles quant au maintien de la croissance économique par la pirouette d’une pseudo transition énergétique perpétuant tout en affirmant le contraire sa rage extractiviste de l'exploitation coloniale… (cf. aussi la série de 7 articles intitulée Le Temps de la Sympathie)

Tout comme l'amour judéo-chrétien freudo-lacanien ne se réduit pas à la seule érotique sexuée de la conjugalité copulatoire, cette double ascendance paradoxale d'Éros est celle aussi de ses sœurs sublimées nommées Agapè - la "charité" - et Philia - l'"amitié" - et de leur plus lointaine descendance incarnée par l'"esprit éthique" de la "morale"…

La mythologie grecque rapporte bien d'autres récits de l'histoire d'Éros, mais celui-ci a le très grand mérite d'articuler finement ce couple paradoxal de l'"amour" qui lie "manque à être" & "plénitude de l'Être", mystère singulier de l’"esprit personnel" & "ouverture transitionnelle" à l'universalité d'un "Esprit Autre"…

Divine ou humaine, la nature dite ontologique de l’« être » demeure en effet un mystère. À cette mystique de l'"être" Martin Heidegger se colla, esquissant ce paradoxe d’un "être" qui n’est qu’en tant que "doute", "négation" ou "manque".

L'"amour" est enfant bohémien du "manque à être" & de la "porosité transitionnelle"…

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