Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Actualité des maux croisés, pérégrinations ad libitum d'un psychiatre des sympathies, des perplexités paradoxales & des hégémonies culturelles...

Croiser l'actualité, les maux qui la parlent et les mots qui la hantent...

Malaise dans la "transition" culturelle, 1. "Qui suis-je", tandis que je "transite" ?, avec l'essayiste Michel de Montaigne, l'historien des affects et des imaginaires Hervé Mazurel et l'écrivain-chercheur Marcel Proust...

Publié le 6 Septembre 2023 par Serge Aron

Malaise de la psychiatrie aux abords des parcours dits de "transition", tel sera peu ou prou le thème abordé par cet article, bien au-delà bien sûr de sa réduction à la sous-question de la "transidentité" de genre, illustrée ici par l'image d'une manifestation de soutien à l'"inclusion" des personnes transsexuelles et transgenres…

Malaise de la psychiatrie aux abords des parcours dits de "transition", tel sera peu ou prou le thème abordé par cet article, bien au-delà bien sûr de sa réduction à la sous-question de la "transidentité" de genre, illustrée ici par l'image d'une manifestation de soutien à l'"inclusion" des personnes transsexuelles et transgenres…

Psychiatre & blogueur surfant depuis plus de 10 ans sur des vagues linguistiques médiatico-culturelles constituées des "maux" qui parlent l'époque et des "mots" qui la hantent, pèlerin "en transit" en quête d'une orientation plus éthique de la perplexité ambiante, moraliste des paradoxes de la sympathie menant sainte "croisade" contre des discours ultralibéraux à prétention hégémonique, je ne pouvais me soustraire à une médiation médicale méditative des "transitions" en cours. L'actualité m'y pousse, celle de la place de la psychiatrie dans les dits "parcours de transition", et celle plus générale d'une "transition climatique", affectant autant les climats météorologiques planétaires que les climats sociopolitiques mondialisés, et plus localement autant les climats professionnels que les climats plus personnels. (cf. aussi Métaphore informatique, médialité hiérarchique et spectres de Dieu: la rétroaction subjectivante, entre conversion informatique et relecture médiumnique)

Une petite transition musicale pour agrémenter le transit culturel?...

Professionnellement, j'ai toujours été stupéfait par cette commande curieusement paradoxale faite aux psychiatres d'être celui qui par la magie d'un diagnostic psychiatrique serait en mesure de répondre pour autrui à la question "qui suis-je ?". Suis-je "névrosé" ? Suis-je "psychotique" ? Suis-je "paranoïaque" ? Suis-je "bipolaire" ? Suis-je "dépressif" ?... Mon ex-compagnon est "pervers narcissique", il me "harcelle", pouvez-vous faire un certificat pour mon avocat ?… Je suis suivi par un psychologue, mais j'ai besoin d'un psychiatre, « on m'a diagnostiqué » "bipolaire"… « Mon fils a été diagnostiqué "TDAH" (Trouble Déficitaire de l'Attention avec Hyperactivité). Il est "porteur de handicap", il aura toujours besoin d'un "suivi" »...  « J'ai été diagnostiqué "autiste asperger", suis-je "HPI" (Haut Potentiel Intellectuel) ? »...

Pourquoi faudrait-il à l'heure des "dysphories de genre" indexer son "être" à ce "genre" si particulier de vocabulaire nosographique classificatoire ? Pourquoi cette "fascination" pour ce topos "fasciste" de l'étrangeté radicale à refouler par-delà le mur tangible d'une frontière diagnostique infranchissable ? Pourquoi cette mode rétrograde du "binaire" manichéen normal / pathologique ou du "bipolaire" à haut différend potentiel ? Pourquoi cette conversion digitale endiablée à ce "langage machine" dédaigneux de l'"injure", du "mépris" voire de l'"humiliation", pour reprendre la terminologie du professeur de philosophie et d'éthique Olivier Abel, auteur en 2022 de "De l'humiliation : Le nouveau poison de notre société" ? (cf. aussi "Injure" et "subjectivité", de l’injonction culturelle paradoxale à l’ordonnance de placement)…

Les frontières psychiatriques sont-elles infranchissables ? Une "transition" diagnostique est-elle possible ? Jusqu'où "transiger" avec un diagnostic psychiatrique ?...

La question n'est pas neuve, son urgence est probablement le signe des époques troubles de "transition" culturelle, à l'instar par exemple de celle des "guerres en religion" qui inspira à un humaniste nommé Michel de Montaigne son célèbre "Que scay-ie ?". (cf. L’ordre de la Sympathie, une résonance dans le Temps; 1ère partie: Psychiatrie montaignienne et Sympathie freudienne)…

« Je ne peints pas l’estre, je peints le passage », écrivait Montaigne, "transitant" « à saut et à gambade » sur les chemins aller & retour entre croyance & scepticisme qui s'étirent le long de son écriture d'essayiste en perpétuelle "transition". On ne se baigne jamais deux fois dans le même "savoir". Le "savoir psychiatrique" tout comme le savoir qu'on croit à certains moments détenir sur soi-même ne sont-ils pas voués tel le fleuve héraclitéen au mouvement "transitionnel" incessant d'écoulement entre "rives opposées" ? …

"Que sais-je" des "croyances" et/ou des "convictions" qui "inconsciemment" m'habitent et me constituent ?...

Comme le note l'historien des affects et des imaginaires Hervé Mazurel, contrairement au dogme psychanalytique qui le tiendrait pour "universel" et "intemporel", l'"inconscient" freudien ne saurait émarger comme "invariant" de l'histoire de l'humanité. Inscrits eux-mêmes dans des "transitions" historiques et culturelles successives, « il a certainement fallu des siècles d'histoire pour façonner les inconscients qui sont les nôtres » (Hervé Mazurel, L'inconscient ou l'oubli de l'histoire, Profondeurs, métamorphoses et révolutions de la vie affective, p. 28)…

"Que sais-je" des "transitions culturelles" qui m'altèrent et me façonnent à mon "insu" ?...

« Non, l'inconscient n'est pas éternel, invariable et monotone; il se métamorphose silencieusement et mue imperceptiblement. Sa vie ressemble à celle d'un continent à la dérive. Et, d'un groupe à l'autre, la culture d'en sculpter ainsi les contours et processus, d'en peupler les figures et d'en distribuer les objets. Chaque fois différemment. En sorte qu'il faille à la fois apprendre à mieux rattacher, d'un côté, l'histoire singulière des individus sur l'inconscient historique des cultures dont ils émanent, et, de l'autre, l'historicité de ces mêmes cultures sur l'inconscient des individus. » (Hervé Mazurel, L’inconscient ou l’oubli de l’histoire, Profondeurs, métamorphoses et révolutions de la vie affective, p. 571)

« Si l'inconscient ne saurait renvoyer indéfiniment aux mêmes figures invariantes et autres complexes universels, les névroses et les psychoses pourraient bien elles aussi être à leur façon des "troubles d'époque". Non pas seulement parce qu'on ne saurait les adosser à une sorte de sujet transcendantal, existant comme tel de manière transhistorique, mais parce que les désordres psychiques demeurent étroitement corrélés aux dysfonctionnements comme aux mutations d'une société dans son ensemble. Les souffrances psychiques demeurent intimement liées à l'évolution des tabous et des frustrations, des pressions et des refoulements que les impératifs de la vie sociale imposent aux individus d'une époque, quoique différemment selon les groupes sociaux, les âges et les sexes - et c'est pourquoi il faudrait immédiatement raffiner l'analyse et avancer également l'idée de l'existence de névroses spécifiques, des névroses de classe, de génération ou de genre. Si demeure toujours la difficulté de faire la part des maux et des mots (la survivance d'une catégorie médicale pouvant masquer la discontinuité des troubles et inversement), il faut aussi inviter le psychanalyste ou le psychiatre; lorsqu'il envisage des cas pathologiques issus d'époques plus anciennes, à ne pas céder à la tentation du diagnostic définitif a posteriori. Car c'est là le plus sûr chemin de l'oubli de la distance culturelle et de la différence des temps. Outre que nous ne savons que trop comment se font et se défont les nosologies - le propre de toute science de la psyché étant de croire en arrêter le mouvement -, l'intéressant serait plutôt d'essayer de décrire ces troubles dans le contexte psychoaffectif qui leur donne sens, de mieux cerner l'ancrage sociohistorique qui les a rendus possibles, d'inventorier les censures qui, en ce temps-là, bridaient les satisfactions pulsionnelles et l'expression émotionnelle. Ce seul sens historique eût permis aux analystes de mieux comprendre ces vagues soudaines de désordres nouveaux que des générations de patients ont soumis sur le divan à leur sagacité au xx° siècle. Que les pathologies narcissiques aient pris progressivement ces dernières décennies l'ascendant sur les conflits œdipiens, par exemple, eût ainsi été lu comme un symptôme révélateur des mutations affectant tout à la fois la structure sociale, les relations familiales et l'individualisme contemporain. » (Hervé Mazurel, L’inconscient ou l’oubli de l’histoire, Profondeurs, métamorphoses et révolutions de la vie affective, p. 573)

« Nous ne sommes pas un tout matériellement constitué identique pour tout le monde et dont chacun n’a qu’à aller prendre connaissance comme d’un cahier de charge ou d’un testament, notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres », résume Proust (Marcel Proust, Du côté de chez Swann, p. 18-19). Et de poursuivre: « Même l’acte si simple que nous appelons "voir une personne que nous connaissons" est en partie un acte intellectuel. Nous remplissons l’apparence physique de l’être que nous voyons de toutes les notions que nous avons sur lui, et dans l’aspect total que nous nous représentons, ces notions ont certainement la plus grande part. Elles finissent par gonfler si parfaitement les joues, par suivre en une adhérence si exacte la ligne du nez, elles se mêlent si bien de nuancer la sonorité de la voix comme si celle-ci n’était qu’une transparente enveloppe, que chaque fois que nous voyons ce visage et que nous entendons cette voix, ce sont ces notions que nous retrouvons, que nous écoutons. »

"Que sais-je" de "qui je suis" ?...

Je suis en tout cas bien d'accord avec la banderole ci-dessus, "transition de genre" ou "transition" tout court, « ce n'est pas au "psy" de dire qui je suis! », ni ce vers quoi je tends, ce qui n'interdit bien sûr nullement avec lui d'ouvrir pour soi-même cette redoutable et passionnante question de qui je suis. Resterait en miroir à préciser à quel genre de "psy" ou "psychiatre" adresser ce genre de question, mais ne serait-ce pas alors transférer en retour au patient un savoir supposé sur le genre de "psychiatre" auquel il aurait à son tour affaire ?...

"No Future", hurle la jeunesse punk désenchantée du début des années 80, tandis qu'une petite "Souris Déglinguée" par la propagande Disney et le "L.S.D" qu'elle consomme avec "addiction" poursuit en la "raillant" sa quête improbable d'une "cause à rallier"…

Une anecdote plus personnelle à ce propos, en rapport avec un des derniers épisodes de la deuxième saison de ma propre série "en psychanalyse". Pour la première tranche, j'avais suivi les conseils de pairs - comme moi futurs psychiatres-psychanalystes - et m'étais tourné vers un psychanalyste au "style" plutôt atypique. Vêtu d'un marcel et chaussant des sandales sur d'épaisses chaussettes, ce psychanalyste marginal de "genre" masculin ne portait manifestement pas l'habit étriqué du parfait petit lacanien. Quelques années plus tard, pour la deuxième tranche, je m'étais adressé à une psychanalyste de genre féminin cette fois qui quoique membre de la sacrosainte école de la cause freudienne m'avait semblé concernée par ma défiance à l'endroit de cette scolastique psychanalytique qui psalmodie en boucle ses trop scolaires mantras.

Comment se fait-il au fait que "genre" et "style" en soient venus aujourd'hui à fonctionner comme synonymes ?…

À quel "genre" de psychanalyste ou d'école de psychanalyse "se confier" ? À quel "genre" de saint "se vouer" ? Étais-je en mal de "vœux" ou d'"aveux", en crise de "foi" religieuse, ou aspirais-je secrètement à être l'"avoué" cadiste ou zadiste de quelque cause ou zone à défendre ? Était-ce au fond la quête improbable d'une "cause à rallier" tout-à-la-fois personnelle & collective qui depuis mes jeunes années me tourmentait ?...

À quelle culture narcissique ou désir de "singularisation" personnelle "style" et "genre" font-ils écho ?...

J'étais ce jour-là silencieux sur le divan, ce qui n'était pas si fréquent, mais dans mon esprit les idées se bousculaient. Passées les longues séances à faire et refaire le tour de mon obsession de la question de l'"amour" véritable, de mon souci du soin "éthique" singulier des considérations "morales" collectives, à faire et refaire aussi le tour de ce "narcissisme des petites différences" qui pousse à l'individualisme plus qu'à l'individuation et au communautarisme complotiste plus qu'à l'universel républicain, j'en étais venu à visiter plus profondément le vertige de ma question "personnelle". En quoi suis-je "sujet" ? Jusqu'où cette question de l'"identité" a-t-elle un sens ? Suis-je une "personne" singulière ou ne suis-je "personne" en particulier ? "Quelqu'un" ou "quelque-chose" pourrait-il répondre de ce "genre" de question ?...

Tel Ulysse - en "transit" sur les mers - répondant par son nom signifiant "personne" au bavard Polyphème, tel Néo - dans la saga Matrix des "transgenres" Wachowski - confronté au message de « bienvenue dans le désert du réel » que lui adresse le Dieu des rêves Morpheus, je me tenais au bord de la "dépersonnalisation", de la "déréalisation", voire de la "dissociation", et peinais à trouver des mots justes pour décrire cette curieuse expérience. Manifestement inquiète, mon analyste s'est empressée par des questions insistantes de me pousser dans mes retranchements et parvint ainsi à me sortir de cette rêverie possiblement pathogène. Ses provocations ont fait leur effet, j'ai repris la parole pour répondre de mon silence et en suis malheureusement revenu au cour plus habituel de nos séances. Au prix du renoncement à ma quête silencieuse d'une "parole authentique" susceptible de traduire ce que j'éprouvais, j'ai ré-éprouvé ce sentiment désagréable que je connais bien je l'avoue d'avoir davantage pris soin des inquiétudes de mon interlocuteur - ma psychanalyste en l'occurrence - que de ce qui me tenait alors plus "intimement" à cœur…

Un comble pour un psychanalyste: se retrouver comme analysant à prendre soin à ses dépens de son propre analyste. C'est du reste dans l'écriture, sans "stylet" mais avec "style" je l'espère, que cette quête de déconstruction de la "personnalisation" qui m'"en-comble" aujourd'hui se poursuit…

"Que sais-je" du genre de psy "en thérapie" à qui se vouer?...

"Que sais-je" du genre de psy "en thérapie" à qui se vouer?...

Refermons provisoirement cette anecdote personnelle et revenons-en à cette question plus professionnelles du genre de "psy" ou "psychiatre" à qui adresser sa parole. Quel rapport en effet entre un psychiatre-psychanalyste genre "en thérapie" qui - au fil d'associations libres et/ou de rêves saugrenus - accompagne son patient et/ou analysant dans un cheminement personnel concernant un symptôme invalidant, et un psychiatre genre "expert en diagnostic" qui - cédant au "narcissisme des petites différences" - soumet son patient à l'"intransigeance" inquisitoriale de sa quaestio afin de classer son "être" ou sa "personne" sous l'"espèce", la "race", la "catégorie" ou le "genre" de telle ou telle rubrique nosographique étriquée ?...

Pour apaiser sans doute le "transit" douloureux de quelque querelle intestine intime le psychiatre devrait-il aujourd'hui se contenter d'"ordonner" à ses patients une médication à ingérer, accompagnée tout au plus d'une conduite rituelle à laquelle se tenir ?...

Redoutables questions, bien plus subtiles qu'il n'y parait au premier abord, car il est bien sûr d'éminents psychanalystes qui s'affirment eux aussi "experts" en diagnostics psychanalytiques - les sacro-saintes "psychoses", "névroses", et autre "perversions" - et n'envisagent la bonne conduite de leurs cures qu'à partir de cette question "essentialisante" réductrice de "savoir à qui ils ont affaire". Ne s'agirait-il pas plutôt de s'ouvrir à un questionnement autrement plus complexe de savoir "à quoi" analysant & analyste ont ensemble "affaire" ?

"Que sais-je" de qui est "autre" ?...

Savamment orchestrée depuis plus de 30 ans au nom de la lutte contre le "trou de la sécurité sociale", la pénurie de médecins que connait l'époque pousse aujourd'hui des pouvoirs publics complètement désorientés à orienter psychiatres et médecins vers une activité d'"expertise en distanciel" sur quelque "plateforme" dédiée à des soins "populationnels" plus que "personnels". Tous les médecins de France et de Navarre sont aujourd'hui invités voire sommés de quitter la clinique complexe du "singulier" qui - entre sciences médicales et conscience éthique du souci de l'autre - a fondé jadis leur pratique. Il leur est dorénavant demandé de s'inscrire dans le suivisme logistique procédural du technicien expert en thérapeutique idéale. Au prétexte fallacieux de se scientifiser la médecine se protocolise et se coupe de plus en plus du singulier complexe voire paradoxal de la demande du patient. Dans ce contexte, plutôt qu'à se poser délicatement, ces redoutables questions de la fonction du médecin psychiatre, de la définition de son activité, voire du "style" singulier de son implication "personnelle" en viennent à se dramatiser plus encore.

Face à l'adversité et en réponse à une offre "idéologique" alléchante largement "inconsciente" le "genre humain" fait parfois le choix du pire pour lui-même. La psychiatrie est alors mandatée pour prendre soin malgré lui de cet "être humain" en souffrance, exerçant de fait une "contrainte" dans le but de libérer le patient de l'"emprise" de son symptôme par l'action d'une autre forme d'emprise, supposée plus puissante encore. Cette "emprise" de l'opinion politico-culturelle dominante qu'incarne la psychiatrie "hospitalière" s'apparente ainsi paradoxalement à la fois au "biopouvoir" aliénant de la critique foucaldienne et à la "common decency" vantée par l'anarchiste tory Georges Orwell. Détentrice d'un usage libéral légitime de la contrainte liberticide, la psychiatrie hospitalière a paradoxalement du bon, à condition - à l'inverse de nombre de régimes autoritaires - de surtout ne pas en abuser!…

Si la "contrainte" conservatrice est a priori contraire à l'éthique progressiste du "soin" elle s'avère paradoxalement parfois nécessaire à son instauration…

@ suivre...

Commenter cet article