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Actualité des maux croisés, pérégrinations ad libitum d'un psychiatre des sympathies, des perplexités paradoxales & des hégémonies culturelles...

Croiser l'actualité, les maux qui la parlent et les mots qui la hantent...

Malaise dans la "transition" culturelle, 3. Transition "imaginale" bachelardienne, avec le philosophe héraclitéen des sciences Gaston Bachelard...

Publié le 4 Octobre 2023 par Serge Aron

Gaston Bachelard, poète péripatéticien joyeux & chimiste scientifique rigoureux de la matérialité élémentaire "imaginale"…

Gaston Bachelard, poète péripatéticien joyeux & chimiste scientifique rigoureux de la matérialité élémentaire "imaginale"…

L'imaginal en playlist musicale...

Le philosophe des sciences Gaston Bachelard savait l'importance des "forces imaginantes" pour orienter la "raison scientifique". Tout comme Spinoza articulait corps matériel & saint esprit au sein d'une même "Nature", la pensée bachelardienne - loin d'opposer la matière scientifique à l'imaginaire poétique - s'est employée à les tisser d'une même étoffe. L'"imaginal" bachelardien pose l’enracinement de la psyché, de l'imagination, du rêve ou de l'art dans la "matérialité" elle-même. Auteur de La formation de l'esprit scientifique, le psychochimiste s'intéresse davantage aux représentations culturelles des éléments et à ce qu'elles permettent de traduire de la matérialité même qu'au seul tableau périodique proposé par Mendeleïev. La formule "H2O" n'a en effet pas la même puissance "imaginale" que l'élément "eau".

« L'objectivité scientifique n'est possible que si l'on a d'abord rompu avec l'objet immédiat, si l'on a refusé la séduction du premier choix, si l'on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la première observation. » (Gaston Bachelard, La Psychanalyse du feu)

"Terre", "air", "eau", "feu", quel lien secret avons-nous tissé à notre insu avec tel "élément" plutôt que tel autre et comment ces représentations psychiques participent-elles en retour de nos manières d'être, de nos humeurs, de nos comportements, de nos rêves ou de nos croyances théoriques ?

Auteur de La psychanalyse du feu, de L'Eau et les rêves: Essai sur l'imagination de la matière, de L'Air des Songes. Essai sur l'imagination du mouvement, de La Terre et les rêves de la volonté. Essai sur l'imagination des forces et de La Terre et les rêveries du repos. Essai sur les images de l'intimité, Bachelard vise en scientifique une physique "élémentaire". S'émouvoir c'est pour lui éprouver un mouvement intérieur. Aussi nourrit-il son travail rationnel et scientifique des "métaphores" et "émotions" suscitées par sa poétique des forces imaginantes. En dialogue avec les grands esprits de son époque, comme Einstein, Bergson ou Freud, Bachelard distingue l'"imagination formelle", trompeuse et périssable, de l'"imagination matérielle", révélant « des images directes de la matière ». Chemin faisant il s'affranchit des dualismes classiques renvoyant dos-à-dos bien et mal ou sciences et lettres pour produire en guise d'épistémè - conçue par lui comme psychanalyse de la connaissance objective - une poétique de la matière nouant "rationnel" & "imaginaire" selon un mode "transitionnel" singulier

« On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve, parce que, déjà, dans sa profondeur, l'être humain a le destin de l'eau qui coule. L'eau est vraiment l'élément transitoire. Il est la métamorphose ontologique essentielle entre le feu et la terre. L'être voué à l'eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, sans cesse quelque chose s'écoule. (…) L'eau coule toujours, l'eau tombe toujours, elle finit toujours en sa mort horizontale. (…) La peine de l’eau est infinie. » (Gaston Bachelard, L’Eau et les rêves)

Montanien autant qu'héraclitéen par sa sensibilité aux fleuves et rivières qui s'écoulent, Bachelard le "modéré" sait la complexité paradoxale du réel, qu'il illustre par l'image hermaphrodite du cygne, « féminin dans la contemplation des eaux lumineuses, [et] masculin dans l'action », comme par exemple lorsque Zeus s'incarne en cygne pour séduire et abuser Léda. C'est curieusement par la question contemporaine du "genre" que Bachelard introduisit sa notion très freudienne de "complexe de culture". Le complexe de culture se rencontre lorsqu'une image, une théorie ou une idée se retrouve figée ou fixée dans l'"inconscient collectif" - comme attachée « à une culture scolaire, c'est-à-dire une culture traditionnelle » (Gaston Bachelard, L’Eau et les rêves) - empêchant la vitalité culturelle de s'écouler selon son flux propre de pensée.

Sociologue autant que psychologue, plus jungien que strictement freudien, Bachelard définit le "complexe de culture" à l'image de l'"archétype" jungien: une "transition" vitale empêchée, "refoulée" ou "comblée" par un "rationalisme" tellement scolaire qu'il en deviendrait sec, stérile ou "étanche"…

« Nous souffrons par les rêves et nous guérissons par les rêves » (Gaston Bachelard, L’Eau et les rêves), l'"imaginal" bachelardien permet de saisir ce en quoi psychanalyse "subjective" et recherche scientifique "objective" s'entrecroisent, participant l'une tout contre l'autre - comme les deux rives opposées ou rivales du fleuve héraclitéen - d'un même flux culturel de curiosité vitale. La rêverie poétique « sympathise » intimement avec le réel, tandis que l'approche scientifique, plus volontiers « antipathique », prend ses distances avec la charge affective du réel. Comme chez Bergson ou Jankélévitch, l'"obstacle" épistémologique imaginal bachelardien se révèle paradoxalement aussi comme "facilitateur" épistémologique.

Analyste de la "transition" éducative pédagogique, Bachelard l'hégélien envisage la "transmission" des connaissances comme une relation dialectique professeur / élèves« qui enseigne est enseigné » autant que « qui est enseigné enseigne ». Ces formules tirées de La formation de l'esprit scientifique tiennent beaucoup bien sûr de la logique de l'expérience psychanalytique où côté analysant "qui analyse est analysé" de même que côté psychanalyste "qui est analysé analyse"

"Qui suis-je", lorsque je suis en "transition" ? nous interrogions-nous dans un chapitre précédant. C'est une question à laquelle Bachelard - en psychanalyste cette fois - s'empresse de ne pas répondre. Un héritage des péripatéticiens averroïstes se dessine:  Est-ce le "sujet" qui pense ou l'"univers" qui dans le rêve pense le "sujet" ? (cf. La diabolisation, inquiétante étrangeté d'un atavisme culturel, par le prisme averroïste de l'intellect séparé) « La rêverie poétique est une rêverie cosmique (…) Elle donne au moi un non-moi ; le non-moi mien. C'est ce non-moi qui enchante le moi du rêveur et que les poètes savent nous faire partager. Pour mon moi rêveur, c'est ce non-moi mien qui me permet de vivre ma confiance d'être au monde. » (Gaston Bachelard, La Terre et les Rêveries de la volonté : essai sur l'imagination de la matière)

"Moi rêveur" bachelardien modéré et "Non-moi mien" de la rêverie poétique sympathisent, et de cette "sympathie" des opposés émane ma "confiance d'être au monde"…

L'œuvre bachelardienne est un antidote aux raideurs pseudoscientifiques méfiantes des administrations managériales de santé. Surfant sur les rêves d'eau, Bachelard l'océanique se révèle bien meilleur "barreur" que les ayatollahs "mal barrés" de l'"evidence based medecine". Et comme l'a magnifiquement illustré le psychiatre des paradoxes de la psychiatrie Jacques Hochmann, la place de la psychiatrie est précisément celle du soin de ces "paradoxes" de la pensée que des logiques "paranoïaques" mal "barrées" peinent tant à souffrir… (cf. Cogitation complotiste & connerie sympathique, 3e partie: les paradoxes de la psychiatrie)

@ suivre...

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