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Actualité des maux croisés, pérégrinations ad libitum d'un psychiatre des sympathies, des perplexités paradoxales & des hégémonies culturelles...

Croiser l'actualité, les maux qui la parlent et les mots qui la hantent...

Malaise dans la "transition" culturelle, 2. Emprise sectaire des discours managériaux de la "transition", servitude volontaire et "gourou" raisonnablement "modéré", avec Étienne de La Boétie, Michel de Montaigne, Catherine Clément, Martin Luther, Gilbert Keith Chesterton et André Comte-Sponville...

Publié le 20 Septembre 2023 par Serge Aron

La bande dessinée "Dans la secte" de Patrice Guillon et Louis Alloing témoigne magistralement des ravages possibles de cette "emprise sectaire" qui profite à des sectarismes privés bien mal intentionnés. Mais il est difficile de ne pas entendre aussi à travers sa version gouvernementale "MIVILUDES" (Mission Interministérielle de VIgilance et de LUtte contre les DErives Sectaires) envoyée à tous les psychiatres de France et de Navarre le curieux écho à ce triste épisode de l'"amendement Accoyer"...
La bande dessinée "Dans la secte" de Patrice Guillon et Louis Alloing témoigne magistralement des ravages possibles de cette "emprise sectaire" qui profite à des sectarismes privés bien mal intentionnés. Mais il est difficile de ne pas entendre aussi à travers sa version gouvernementale "MIVILUDES" (Mission Interministérielle de VIgilance et de LUtte contre les DErives Sectaires) envoyée à tous les psychiatres de France et de Navarre le curieux écho à ce triste épisode de l'"amendement Accoyer"...

La bande dessinée "Dans la secte" de Patrice Guillon et Louis Alloing témoigne magistralement des ravages possibles de cette "emprise sectaire" qui profite à des sectarismes privés bien mal intentionnés. Mais il est difficile de ne pas entendre aussi à travers sa version gouvernementale "MIVILUDES" (Mission Interministérielle de VIgilance et de LUtte contre les DErives Sectaires) envoyée à tous les psychiatres de France et de Navarre le curieux écho à ce triste épisode de l'"amendement Accoyer"...

Suite de notre réflexion sur le concept de "transition" conçu comme "fait social total d’époque" et ses rapports avec l’évolution des pratiques psychiatriques ou psychanalytiques initiée dans Malaise dans la "transition" culturelle, 1. "Qui suis-je", tandis que je "transite" ?, avec l'essayiste Michel de Montaigne, l'historien des affects et des imaginaires Hervé Mazurel et l'écrivain-chercheur Marcel Proust...

Transcendance musicale

Un sectarisme public revendiqué antisectaire et bientraitant s'était évertué à méconnaître sa propre participation à une forme idéologique d'"emprise", administrative voire managériale celle-là, visant à encadrer et contraindre jusque dans sa nature le travail réputé "libéral" de psychothérapeutes, psychanalystes, psychologues et autres psychiatres se référant à une "culture" psychanalytique.

Toute cette polémique du début des années 2000 sur l'"amendement Accoyer" visant à règlementer le titre de "psychothérapeute" afin de lutter contre des "dérives sectaires" tourne autour de ce paradoxe infernal admirablement mis en lumière à l'époque par la romancière et philosophe Catherine Clément, expliquant à qui voulaient bien l'entendre qu'il n'y a rien de tel qu'un engagement sectaire pour s'émanciper d'une autre "emprise", "servitude" ou "addiction"

« Il se trouve que j'ai vécu cinq ans en Inde, où les sectes fourmillent, il y en a des millions. Dans un livre admirable, "Nomo hierarchicus", Louis Dumont nous explique pourquoi, dans l'hindouisme, les sectes sont nécessaires. Démonstration : quiconque, homme ou femme, ayant fini d'élever ses enfants a le droit de célébrer ses propres funérailles, de quitter sa famille en s'enfonçant dans la "forêt", loin du "village" représentant la société. Mais de cette forêt monastique où vit le "renonçant" (sannyásin), l'écarté volontaire a le droit de sortir pour fonder une secte, et proclamer ses quatre vérités. À une seule condition: que la nouvelle secte abolisse les castes, les différences de sexe et le statut social. D'où l'on conclut logiquement qu'en Inde les sectes sont le terreau de la démocratie(…)

Je sais que je suis mal élevée, politiquement très incorrecte, mais la leçon de l'Inde sur les sectes mérite d'être méditée. En Inde aussi, l'entrée dans une secte est une addiction. Mieux tolérée qu'en Europe, mais une addiction tout de même. En Inde aussi, l'entrée dans une secte permet d'échapper à la famille, particulièrement à la famille indienne, la "Joint-family", ce groupe écrasant d'une centaine de personnes, hostile aux choix individuels. (…)

Pour affreuses qu'elles soient, les sectes, comme les drogues, en substituant une addiction à l'oppression de la famille, ouvrent bon gré mal gré des espaces de liberté. Je dis cela, ayant côtoyé moi-même des menaces de mort de la part d'une secte qui a des habitudes de ce genre, c'est dire que je ne suis pas naïve au point de méconnaitre les dangers des addictions. Lisez Saint Paul, par exemple, c'est un affreux fondateur, de secte répressif, pas meilleur que certaines sourates du Coran en matière de statut des femmes. De là à comparer les évaluateurs Accoyer à autant d'empereurs crucifiant les chrétiens dans l'arène publique, il n'y a qu'un pas, qu'il serait amusant de franchir. » (Catherine Clément, L'horreur, en somme, Le Nouvel Âne n°1, décembre 2003)

Le soin par l'émancipation de diktats pathogènes nécessiterait-il l'intervention d'un "gourou" ?

Dans un article du Monde des religions de juin 2023 intitulé Le gourou, du sage indien au despote "pervers et paranoïaque", le journaliste Gaétan Supertino s'interroge sur l'histoire de cette curieuse appellation.

« Que désigne exactement le terme de "gourou" ? Dans nos sociétés sécularisées, où la pratique spirituelle, surtout si elle est collective, tend à se marginaliser, voire à devenir suspecte, l’usage de ce mot issu de l’hindouisme est presque exclusivement péjoratif, associé à des individus aux pratiques déviantes, voire criminelles, sur fond de manipulation mentale. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi.

Le terme est apparu en Inde vers le milieu du Ier millénaire avant notre ère. Dans plusieurs textes antiques, il désigne à la fois des savants, des philosophes, des conseillers spirituels de princes ou des maîtres aux enseignements plus pratiques, dont certains inspireront plus tard le yoga. « "Gourou" est un mot sanskrit ayant des racines communes avec le mot "grave", au sens de "lourd". Le gourou, à l’origine, est celui qui est "lourd" de connaissance. Il est aussi "lourd" dans le sens où il est "enceint" de ses disciples, il les fait "naître" à une vie spirituelle », décrypte l’historienne Ysé Tardan-Masquelier, autrice des "Maîtres des Upanishads". (...)

En Inde, le terme reste toutefois plus positif qu’en Occident, où il a été introduit à partir des années 1960. Désignant d’abord des leaders spirituels s’inspirant – plus ou moins – de la culture hindoue, « il est progressivement devenu un "gros mot" avec le développement de la lutte contre les dérives sectaires, à partir des années 1970-1980, précise l’anthropologue Nathalie Luca, autrice de "Les Sectes". Le gourou [et son féminin, gourelle] va peu à peu désigner un profil de pervers, souvent paranoïaque, qui utilise son charisme et ses capacités d’influence pour manipuler des victimes. » (...)

« Le risque, avec un tel vocabulaire, est de déresponsabiliser le reste de la communauté. Cela laisse entendre que les victimes sont hypnotisées, qu’il suffit de rencontrer le gourou pour que votre vie soit en danger. Or, tout est dans la relation. Si vous traitez quelqu’un comme supérieur à vous, il risque de se prêter au jeu… », relève Nathalie Luca. Et d’ajouter : « Dans nos sociétés en quête de sens, le risque de manipulation est partout, de la publicité au management, en passant par les discours politiques ou les réseaux sociaux. En focalisant l’attention sur certains gourous, quitte à parfois jeter l’opprobre sur quiconque tenterait, même honnêtement, d’innover en matière de spiritualité, ne détourne-t-on pas le regard d’autres formes d’endoctrinement plus vastes ? » »

Je ne sais pas si je suis un "gourou", mais au contraire de cette dérive médicale contemporaine visant à contraindre les psychiatres au "management de populations" supposées folles, la psychiatrie qui m'intéresse est avant tout cette "maïeutique humaniste de la transition" soucieuse d'accompagner au mieux un "sujet" gros de son devenir à accoucher de cette "parole" émancipatrice qui le "révèlera" à lui-même…

Prenons garde de ne pas trop nous "gourer", le plus "gourou" n'est pas toujours celui que l'on "croit"…

"Parce que c'était lui, parce que c'était moi", une curieuse sympathie semble lier le "discours de la servitude volontaire" du "contr'un" Etienne de La Boétie au "que sais-je?" d'un Michel de Montaigne s'"essayant" à la "diplomatie" amicale transcultuelle entre catholiques traditionnalistes et protestants révolutionnaires…

"Parce que c'était lui, parce que c'était moi", une curieuse sympathie semble lier le "discours de la servitude volontaire" du "contr'un" Etienne de La Boétie au "que sais-je?" d'un Michel de Montaigne s'"essayant" à la "diplomatie" amicale transcultuelle entre catholiques traditionnalistes et protestants révolutionnaires…

Et si la "servitude volontaire" et l'"emprise" son corollaire - si souvent rencontrées aux abords des "discours sectaires" - traduisaient avant tout le besoin d'une "contrainte" ou d'un "obstacle" exercé par autrui pour soutenir - c'est un paradoxe - un désir de "transition subjective" ?...

Alors que les principaux détracteurs de cet amendement Accoyer qui menaçait l'ensemble des psychanalystes et leurs associations insistaient à vouloir démontrer la "scientificité" de la psychanalyse, Catherine Clément prit la question à l'envers, interrogeant le sectarisme non assumé de ceux qui au nom de la science se prétendaient non-sectaires. L'auteur de "La putain du diable" s'y connaissait en matière de diablerie rationnelle. L'expression qui a donné son titre à son ouvrage nous vient de Martin Luther: « La raison est la putain du diable. Une putain mangée par la gale et la lèpre qu’on devrait fouler aux pieds et détruire, elle et sa sagesse. Elle mériterait, l’abominable, qu’on la reléguât dans le plus sale lieu de la maison, aux cabinets » (…) « La raison est contraire à la foi » (…) « Chez les croyants, la raison doit être tuée et enterrée » (…) « Il est impossible de faire s’accorder la foi avec la raison » (…) « Tu dois abandonner ta raison, ne rien savoir d’elle, l’anéantir complètement, sinon tu n’entreras jamais au ciel ». (Jacques Maritain, Trois réformateurs : Luther, Descartes, Rousseau, avec six portraits, p. 46-48)…

Exigeant l'abandon de la "raison", en matière d'emprise sectaire le "gourou" protestant Martin Luther n'avait manifestement de leçon à recevoir de personne! Un peu folle sans doute, son influence morale et éthique ne saurait bien sûr être réduite à l'expression d'une pathologie mentale, quand bien même la période de "transition cultuelle et culturelle" qui suivit - celle des guerres en religion qui ont fortement soucié notre cher Montaigne - fut violente et douloureuse…

La "raison" seule ne saurait orienter nos actes, la "paranoïa" nous l'enseigne. « Le fou n'est pas l'homme qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu, excepté la raison », remarquait l'écrivain et "prince des paradoxes" Gilbert Keith Chesterton, connu aussi pour ses prises de positions antimodernes contre les dérives eugénistes follement rationnelles de son époque. Sa formule génialement paradoxale est devenue un classique de la psychiatrie et de la psychanalyse.

Si ce n'est la "raison" que le "fou" a perdu, serait-ce la "foi" ? Mais quelle "foi" ? S'agirait-il d'une "foi" classiquement cultuelle et religieuse ou d'une forme plus "subtile" de "foi culturelle inconsciente" ?...

Cette formule chestertonienne souligne en outre à qui veut bien l’entendre combien il serait vain et dangereux de vouloir réduire la médecine et plus encore la psychiatrie à une discipline scientifique rationnelle exclusivement basée sur la logique de la "preuve"… (cf. chapitre 3: Culture commune partagée et isolement par la "preuve", dans Petite musique de chambre d’un "psychiatre à l’isolement" suffisamment "fou" pour conjoindre à la critique d'une prétendue "modernité" managériale l'aspiration au concert de la refondation culturelle du "climat de soin" & du "soin du climat)

Tout comme l'alcool la "raison" se doit d'être consommée avec "modération". Comme le rapporte André Comte-Sponville au sujet du "modéré", c'est encore « Montaigne [qui] en livre la juste définition: un modéré, c’est quelqu’un qui est plus proche des modérés du camp d’en face que des extrémistes de son propre camp. Catholique, il se sentait lui-même plus proche d’un protestant modéré que d’un extrémiste catholique. Moi, je suis un homme de gauche, mais partage davantage avec un modéré de droite qu’avec un extrémiste de mon bord. Bien que je trouve l’un plus antipathique que l’autre, les deux extrêmes représentent aujourd’hui un danger pour la France. En disant cela, je ne fais en rien l’apologie du centrisme. » (André Comte-Sponville, L'invité du Télérama n°3830, 7 juin 2023, p. 6)

Un psychiatre modéré, c'est un scientifique "rationnel" qui se sent plus proche du psychanalyste "relationnel" que des ayatollahs de la médecine fondée uniquement sur l'irréfutabilité des "preuves"…

Nous retrouvons ici le thème de l'obsolescence des "savoirs" évoqué précédemment et de l'"obstacle" dualiste salutaire des "rives opposées" du fleuve héraclitéen. Tout "savoir" découle tel un fleuve de la "rivalité" entre propositions dialectiquement opposées qui se font "obstacle" l'une l'autre. "Synthèse" instable provisoire entre "contrainte rationnelle" et "fluidité transitionnelle", aucun "savoir" n'est possible sans prendre "soin" de cette "modération" diplomatique culturelle montanienne. (cf. passage sur Héraclite d'Éphèse et Heinz Wismann dans 7. David Hume & Adam Smith, interprètes amicaux de l’affect spinoziste, une théorisation féconde de l’imaginaire fictionnel des sentiments et de la sympathie utilitariste transférentielle de l’âme & du corps:…)

« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve "transitionnel" de "fictions scientifiques provisoirement pertinentes" », dirait probablement l’épistémologue héraclitéen Carl Popper, célèbre aussi pour sa critique humienne de l'"irréfutabilité" de l’interprétation psychanalytique…

De gauche à droite, Philippe Even, tenant de la ciclosporine comme traitement révolutionnaire du Sida, le Soviétique Trofim Lyssenko, pourfendeur stalinien de la science génétique bourgeoise, le médecin Jacques Benveniste, défenseur de la mémoire de l'eau, et le géologue climatosceptique Claude Allègre, les quatre cas d'école développés dans le documentaire "Mystifications", réalisé par le journaliste Patrick Cohen…

De gauche à droite, Philippe Even, tenant de la ciclosporine comme traitement révolutionnaire du Sida, le Soviétique Trofim Lyssenko, pourfendeur stalinien de la science génétique bourgeoise, le médecin Jacques Benveniste, défenseur de la mémoire de l'eau, et le géologue climatosceptique Claude Allègre, les quatre cas d'école développés dans le documentaire "Mystifications", réalisé par le journaliste Patrick Cohen…

Le documentaire "Mystifications" réalisé par Patrick Cohen en écho à la controverse sur l'intervention du professeur Didier Raoult durant la crise Covid aborde de grandes mystifications scientifiques du XX siècle, de l'affaire Lyssenko de l'époque stalinienne à l'autoritarisme "climatosceptique" de l'éminent géologue et ancien ministre de l'éducation nationale Claude Allègre, en passant par l'effervescence médiatique liée au traitement supposé du Sida par la cyclosporine ou à la pseudo-découverte par Jacques Benveniste d'une "mémoire de l'eau" justifiant du bienfondé de la médecine homéopathique.

Comment d'éminents scientifiques ayant fait preuve de solides aptitudes au maniement de la "raison" en viennent-ils au sommet de leur gloire à compromettre carrière et crédibilité au "fanatisme sectaire" de cette conviction inébranlable d'avoir raison envers et contre tous les autres ?...

Loin de l'extrême-centriste sectaire, le "modéré" préfère le débat avec celui qui ne pense pas comme lui à l'entre soi clanique, communautaire ou sectaire de ceux qui pour assoir plus encore la domination de leurs convictions idéologiques s'enferment dans la ratiocination rituelle de formules toutes faites. Le "modéré" se méfie des partis politiques, des zadismes, des confréries ou des écoles de psychanalyse. Il préfère dialoguer avec les philosophes péripatéticiens qui pérégrinent en moyenne montagne sur le Péripatos athénien - à la marge des discours idéologiques dominants - plutôt que se réfugier dans la solitude dogmatique de quelque temple intemporel au sommet de l'Acropole

En période de repli identitaire communautariste complotiste le "modéré" peine à trouver l'agora qu'il affectionne et se voit souvent contraint lui aussi comme du temps du "gourou" Épicure à vivre caché dans le repli communautaire de son jardin secret. L'écriture partagée est aujourd'hui pour moi ce jardin secret épicurien du dialogue subtil entre "barrage" de la critique radicale & sagesse de la "modération amicale", ce qu'en un seul mot on résume parfois par le concept de "philosophie"

Dans le malaise culturel de l'époque, l'heure est à la mystification managériale. Au nom d'économies budgétaires à réaliser des logiques paranoïaques de bureaucrates n'ayant aucune expérience concrète du métier de soignant se retrouvent seules aujourd'hui "à la barre" à manager les politiques de santé.

Avec sa pratique "immodérée" de l’"evidence based medecine", cette médecine follement rationnelle systématiquement mise en avant aujourd'hui est à l’évidence mal "barrée"…

@ suivre

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