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Actualité des maux croisés, pérégrinations ad libitum d'un psychiatre des sympathies, des perplexités paradoxales & des hégémonies culturelles...

Croiser l'actualité, les maux qui la parlent et les mots qui la hantent...

Du "Paternalisme" au "Partenariat", au-delà, si possible, des illusions de la modernité tardive… Emmanuel Todd, Raphaël Liogier, Stromae...

Publié le 14 Septembre 2013 par Serge Aron

Stromae, l'envers du Maestro, chante Papaoutai?...

S’il est une formule qui incarne et synthétise les lignes de tension de la modernité tardive, c’est bien celle d’une prétendue mutation allant du « Paternalisme » vers le « Partenariat »…

La cause est tellement entendue que toute question quant à la pertinence d’une telle formule suscite immanquablement la méfiance à l’endroit de l’émetteur… Comment peut-on, de nos jours, n’être pas absolument convaincu de la nécessité de venir à bout de l’ "autoritarisme patriarcal" et de ses avatars : le "machisme", l’ "intégrisme", la "dictature", le "néo-libéralisme", et, last but not least, l' "holocauste" ou la "shoah"?...

La question n’est pas infondée, l’Histoire fait le récit des dérives autoritaristes à l’œuvre dans les guerres et les catastrophes du passé…

L’actualité brûle elle aussi de cette tension. Du printemps arabe à la guerre en Syrie, il s’agit de condamner et d’abattre les régimes autoritaires mortifères au profit de démocraties égalitaires et respectueuses des « valeurs humaines »…

Le réel pourtant vient obscurcir ces beaux discours…

D’Afghanistan ou d’Irak ou même d’Egypte, de la Lybie au Mali, partout le constat est le même : il ne suffit pas d’abattre un « dictateur » ou de vaincre des « intégristes » pour que la paix règne sur le monde…

Obama et Hollande, fort de leurs preuves quant à l’utilisation d’arme chimique par le régime de Bachar al-Assad, ne parviennent pas à trouver une majorité (« démocratique ») en Europe ou à l’ONU pour décider d’une intervention militaire en Syrie… La Russie, bien sûr, mais aussi la Chine, détentrice comme elle du droit de veto au conseil de sécurité des nations unies, et même les autres « BRICS » : Inde, Brésil, Afrique du Sud; ou encore Mexique, Japon, Argentine, Algérie, Egypte, … beaucoup expriment leurs réserves quant à une éventuelle intervention… (cf. carte ci-dessous)

La Russie « patriarcale » et son Poutine « autoritaire » ne sont pas seuls opposés à l’intervention en Syrie, malgré l’utilisation d’armes chimiques ! Même les « modernes » pays émergents rechignent à bouter Bachar hors de Syrie ???

Qu’est-ce que ça raconte ?

La chasse au Patriarche ne ferait-elle plus tout-à-fait l'unanimité dans le camps des "modernes"? Les Pussy Riots n'incarnent-elles pas la nécessité de poursuivre le combat?

En vert: les pays favorables à une intervention  En rouge: les pays hostiles à une intervention  En bleu: les pays qui sont favorables à une intervention uniquement dans le cadre de l’ONU

En vert: les pays favorables à une intervention En rouge: les pays hostiles à une intervention En bleu: les pays qui sont favorables à une intervention uniquement dans le cadre de l’ONU

Changeons de décor: L' "Éducation Nationale". Enfin débarrassée de ses « maîtres » à l’ancienne, avec leur baguette et autre règles en fer pour taper sur les doigts des enfants récalcitrants, l’école républicaine ne devrait-elle pas jouir du bonheur retrouvé de s’instruire dans la joie et le respect tant de son propre désir libéré que de l’altérité légitimée de son prochain ?…

Il ne passe pas un mois sans que la presse, inlassablement, répète la litanie des plaintes et des angoisses face à une jeunesse qui ne respecte plus l’autorité des enseignants, qui ne s’acquitte plus de son obligation d’instruction, etc.…

Non pas que le constat soit faux ! Ni vrai non plus, d’ailleurs, la question n’est pas là, je crois…

Une « mutation » est en cours, qu’il s’agirait d’éclaircir et de situer le plus objectivement possible…

Qu’est-ce que le « Paternalisme » ?

Emmanuel Todd, dans « L’origine des systèmes familiaux », identifie la « famille nucléaire bilocale » (c'est-à-dire traitant à égalité hommes et femmes et vivant dans une indépendance relative vis-à-vis d’un réseau familial indifférencié) comme le système institutionnel originel de l’humanité. On le retrouve à la périphérie d’un immense empire, lui-même fruit d’une très probable révolution du néolithique qui aurait diffusé de proche en proche sur la quasi-totalité de l’Eurasie: le continent « patrilocal » et/ou « patrilinéaire », c'est-à-dire où l’épouse vient intégrer le groupe local du mari et/ou la transmission du « patrimoine » est patrilinéaire…

Le « paternalisme » serait donc issu d’une révolution institutionnelle « archaïque » de la « famille », destinée à organiser a priori la répartition des populations à l’heure de la sédentarisation et la transmission des « patrimoines »…

La thèse de Todd va bien au-delà, et illustre la survivance de traces des systèmes familiaux archaïques qui expliqueraient pour partie le succès de telle ou telle idéologie moderne dans tel ou tel pays (« communisme » pour les « familles communautaires » en Russie, « fascisme » pour les « familles souches » en Allemagne et au Japon, « néo-libéralisme » pour les « familles nucléaires absolues » en Angleterre et dans les pays anglo-saxons…). Hantologie encore…

Le « néo-libéralisme » contemporain, issu d’une des poches de résistance situées à la périphérie de la zone de diffusion des systèmes patrilocaux et/ou patrilinéaires, l’Angleterre, serait le nom d’un retour du refoulé plus « archaïque » encore que le « patriarcat », la famille nucléaire absolue : papa-maman-et-les-enfants indépendants des grands-parents. On y note peu de co-résidence: les jeunes couples quittent les domiciles parentaux et s’installent dans un petit logement indépendant…

La modernité a réinventé le vieux système institutionnel pré-patrilinéaire et son succès planétaire est celui de la « mondialisation »…

L’histoire est un peu plus complexe sans doute, avec par exemple l’influence probable de la famille nucléaire égalitaire du Bassin parisien dans la Révolution française, mais dans les grandes lignes la modernité tardive est la continuation de ce retour en force … jusqu’à la « désinstitutionalisation » dont on nous rabat les oreilles dans les institutions républicaines (« nouvelle gouvernance », « révision générale des politiques publiques », etc.) … Elle s'inscrit dans une longue histoire qui, du protestantisme aux révoltes paysannes, de la Révolution à la PMI (protection maternelle et infantile), vise explicitement ou implicitement les abus de pouvoir des détenteurs masculins de la "puissance paternelle"...

Et Sheila chantait: "t'es plus dans l'coup, papa"...

1963: Pater archaïque?

De quoi le « Partenariat » est-il le nom ?

Si Alain Badiou se demandait de quoi « Sarkozy » était le nom, une réponse est déjà possible : du « néo-libéralisme »… mais pas plus sans doute qu’ « Hollande », « Chirac », « Mitterrand », « Giscard », « Pompidou » ou « De Gaulle » !!!

Et les Ludwig von 88 chantaient: "j'ai tué mon père, car il souffrait trop"...

1988: Pater euthanasié?...

Le « néo-libéralisme » est la révolution « partenariale » et « contractuelle » qui se substitue peu à peu au modèle « patriarcal » et « pyramidal » précédant…

La récente loi dite du « mariage pour tous » s’inscrit bien sûr dans le même mouvement. L’homosexualité et l’homoparentalité sont des épiphénomènes qui masquent la réelle révolution en cours, celle de l’ « égalitarisme » homme / femme, celle de la « parentalité partenariale », de la « garde alternée », de l’ « alternance démocratique », de l’ « autorité (parentale) partagée », celle de la « démocratie participative »…

Et les Vedettes chantaient: "Papa est mort"...

2007: Papa est mort ...

Maintenant que le décor est posé, quel est le problème ?

Le problème, c’est que le système « partenarial » ne résout rien, ce qui en soi n’est pas un problème majeur puisque le « paternalisme » ne résolvait rien non plus ! Mais on le présente comme une solution… on en attend monts et merveilles, c’est le propre des « idéologies »… Et si ça ne marche pas on accélère encore, on passe en force, et c’est la « Terreur » qui s’annonce, la Terreur du « Partenarisme »…, soit de l’ « intégrisme partenarial » ! Celui par exemple qui vise à pénaliser toute "fessée" ou "gifle" sans mesurer les dommages collatéraux d'une telle posture... (cf. la série "la gifle" actuellement diffusée sur Arte)

De quoi le « Pater » était-il le nom ?

Selon Alain Rey, « Pater est un terme générique qui n’implique pas tellement la paternité physique, rôle assumé plutôt par genitor (cf. géniteur) et par parens (cf. parents, … ou partenariat !) ; il exprime surtout une valeur sociale et religieuse, désignant le chef de la maison, le pater familias, l’homme en tant que représentant de la suite des générations

La messe est dite ! La mutation en cours est « sociale » et « religieuse », et elle attaque l’homme en tant que « représentant de la suite des générations »… Pater ne désigne pas tant le « père » que l’au-delà du père, ce en quoi le « père » est par lui-même insuffisant.

Pater représente ce en quoi le géniteur, le parent, ou le beau-parent (un autre « partenaire »), sont insuffisant à répondre de ce qui est en jeu…

Quelque chose échappe, manque, rate dans la logique « partenariste », et le nom qui a été donné à ce truc manquant est « pater »…

La bande de Möbius a fait un tour, et retour… du « Partenarisme » au Paternariat »… Quelques lettres se déplacent, un tour de passe-passe, à peine visible… et déjà on annonce le retour du religieux, de la place d’exception verticale qui confirme la règle horizontale, de la figure de la pyramide, du troisième point qui triangule la platitude binaire, du tiers qui par son écart ou son absence fait autorité…

Est-ce à dire qu’on revient en arrière ? Bien sûr que non, n’en déplaise encore à Orphée… Mais l’avenir se dessine, et Raphaël Liogier (« Soucis de Soi, Conscience du monde »), directeur de l’ « observatoire du religieux », en esquisse les contours probable: l’ « individuo-globalisme », foi nouvelle qui serait en train de changer, silencieusement, notre monde… sorte de « pater-partenarisme », de « néo-pater-libéralisme » dont le « bo-bo » (bourgeois-bohème) contemporain, à l’instar de celui qui écrit ces lignes, serait à son insu l’un des plus éminents prosélytes…

Amis bobos, @+ serge.aron.over-blog.com

Du "déterminisme" à la "détermination", ou du "paternalisme" au "partenarisme"?

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