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Actualité des maux croisés, pérégrinations ad libitum d'un psychiatre des sympathies, des perplexités paradoxales & des hégémonies culturelles...

Croiser l'actualité, les maux qui la parlent et les mots qui la hantent...

Obsession de l'obsolescence et de la dé-complétude des "diagnostics" psychiatriques, 1ère partie: anthropologie des "habitudes" du jouir, avec Pierre-Henri Castel, Augustin d’Hippone, Serge Gainsbourg et la série "Breaking Bad"...

Publié le 9 Novembre 2014 par Serge Aron

Pierre-Henri Castel: l’obsessionnelle tentation d’une érudition à l’impartialité obsolète...

Pierre-Henri Castel: l’obsessionnelle tentation d’une érudition à l’impartialité obsolète...

Disposant de quelques belles cordes obsessionnelles à mon arc sinthomatique, il m'arrive de penser qu'en matière d'"obsession" je n'ai de leçons à recevoir de personne, qu’aucune figure d’exception n’est habilitée, sans mon consentement, à exercer sa domination sur l'intimité de ma pensée. Toujours en retard de quelques addictions, ce consentement individuel peine à rattraper tout ce qui, à l'insu de son plein gré, le domine, mais il ne rend pas les armes, les cordes très accordées de son arc se tenant prêtes à lâcher les mesures d'une lancinante et obsessionnelle mélodie...

Une amie possiblement agacée de cette posture me fit remarquer que ma signature, @+, semble faire écho à la devise "APLUS" des Rohans bretons protestants: aucune autorité dominatrice n’est censée s’interposer entre le sujet protestant et Dieu - ni curé, ni évêque, ni Pape - le salut serait une affaire entre moi et Dieu

Le rock romantico-mélancolico-gothique de The Mission : « I still believe in God, but God no longer believes in me », "Wasteland", 1986, "God’s own Medicine"…

Comment mieux répondre de cette belle interprétation qu’en lui offrant une suite, l’@+ sériellement sérieux d’un pas de plus ?

Si le "a" dit privatif rappelle la privation ascétique des ermites et des Pères du Désert, le protestant Luther - lointain descendant d’Évagre le Pontique -, conteste, lui, le "plus" dont jouit à son époque la hiérarchie catholique…

L'athéisme moderne prolonge aujourd'hui cet ascétisme protestant

L'envers de la religion n'est pas l'athéisme, cette religion altermondialiste sans Dieu qui "possède" ses fanatiques, mais plutôt l'agnosticisme, qui - tel Montaigne pensant contre lui-même - articule la foi dans les termes d’un indécidable. Depuis le "Breaking Bad" d'Adam et Ève, l’impossible mais nécessaire césure entre bien et mal pourrait être tenue pour cause déclenchante de l'accouchement lent et douloureux d'une rectification subjective...

Par son érudition de savant "obsédé", Pierre-Henri Castel retrace l’histoire de cette évolution progressive qui s'opère au travers des embarras de l’agir, de la crainte de mal penser ou de penser à mal, d’avoir des mauvaises pensées, et ce depuis Théophraste, Évagre le Pontique ou Augustin, jusqu’aux T.O.C., ces "Troubles Obsessionnels et Compulsifs" qui voudraient nous donner accroire que le cerveau est dérangé là où le sujet est interrogé et peine à répondre de la place qu’il habite à la lumière des mutations culturelles qui l’habitent...

Sur les questions qui m’obsèdent (cf. Lutte dans les "classes" et fonction du "diagnostic"... Michel Foucault, Mohamed Mehra, Jacques Audiard...), depuis Foucault et Lacan, je ne crois pas avoir jamais rien lu d'aussi renversant…

Dans « Âmes scrupuleuses, vies d’angoisse, tristes obsédés », Pierre-Henri Castel propose une interprétation nouvelle à cette autre césure problématique, celle de l'opposition anthropologique entre une archaïque psychose romantico-religieuse des campagnes provinciales profondes et une moderne névrose scientifico-laïque de la bourgeoisie éclairée des capitales...

Epidémiologiste, P.H.C., comme le nomme un de ses amis, étudie les traces de deux épidémies. Celle de « scrupulosités religieuses » tout d’abord, dont l’ampleur au XVIIe siècle fut à l’origine de la controverse des jansénistes et des jésuites - les premiers reprochant aux seconds de dédramatiser la question obsédante du salut de l’âme -, puis celle, fin XIXe, d’« Américanite » - à laquelle nous devons, bien avant le Prozac, la prescription pharmaco-capitaliste des célèbres Coca Cola et Pepsi - et qui dans nos contrées se fit appeler « neurasthénie ».

Pourquoi et comment ces épidémies ont-elles éclatées et se sont-elles autant répandues ?

Anthropologue, il retrace les mutations épistémologiques, culturelles, idéologiques ou religieuses à l’œuvre lors de ces épidémies et montre la lente et progressive ascension de l’individualisme à travers le développement de la « contrainte intérieure » comme processus de « civilisation de l’esprit ».

Historien de la psychiatrie en particulier et des sciences médicales en général, PHC nous invite à redécouvrir l’étymon de "maladie". "Male habitus" peut en effet s’entendre comme un "mal-être" en rapport avec "habitude" et "habitat". "Habitat" suggère "propriété" et ainsi "norme" dont on "jouit". Une maladie traduit alors la manière dont ces mutations épistémologiques, culturelles, idéologiques ou religieuses impactent les habitudes, les modalités du jouir. Perturbé dans ses habitudes obsolètes, "normosé" (cf. La "normose", une pathologie de l' "intégration" de la "norme"?... Fauve, Ferdinand Wulliemier, Raphaël Liogier...), le sujet éprouve le sentiment romantique de ne plus habiter chez soi. Reste la "nostalgie" proustienne du "temps perdu" qui, par l’allemand "heimweh" qu’elle traduisit, renvoie littéralement à l’étymon de "maladie".

Par le latin "habere", caractéristique de l’avoir comme habitude ou habitat, il est intéressant de noter la proximité des concepts de "jouissance", "propriété" et "possession", et les sentiments de "s’habiter", d’habiter sa propriété, pathognomonique de l’aristocratique "névrose" ou au contraire d’"être habité", hôte assiégé ou locataire en dette d’une pensée dominante étrangère, pour la "psychose" prolétarienne

L’habitat renvoie aussi à la maison et au pays (Heimat, Homeland, pour ne mentionner que deux séries récentes) auxquels se rattache la hantise qui nous a déjà beaucoup "hanté", pour ne pas dire "obsédé" (cf. Le "Rom-Hantisme" du "Gauchisme Culturel", ou "Misère" et "Economie Sociale et Solidaire"?... Leonarda, Victor Hugo, Michel Rocard, Edgar Reitz...)…

"Maladie du scrupule" au grand siècle, et "neurasthénie" ou "nervosisme" fin XIXe racontent, avec PHC, le travail maïeutique, et l’accouchement au forceps, de l’homme moderne.

Psychanalyste enfin, c’est en maïeuticien justement, à la Socrate, qu’il aborde symptômes et plaintes du sujet contemporain, non pas seulement comme désordre à corriger mais comme mutation au travail, comme style à accoucher.

Avec Pierre-Henri Castel, nous pouvons envisager nos maux croisés sous l'angle de l'histoire des obsessions et revisiter en particulier celle de l’obsession de la faute, et ce, à l’intersection de données individuelles et collectives.

Comme le mentionnait Nietzsche (Le gai savoir, 1886, §354) à propos d’une conscience renvoyant plus au "troupeau" de ruminants qu’au "roseau pensant" de Pascal (le même qui s’engagea aux côtés des Jansénistes précités), « Je pense comme on le voit, que la conscience n'appartient pas essentiellement à l'existence individuelle de l'homme, mais au contraire à la partie de sa nature qui est commune à tout le troupeau; qu'elle n'est, en conséquence, subtilement développée que dans la mesure de son utilité pour la communauté, le troupeau; et qu'en dépit de la meilleure volonté qu'il peut apporter à se "connaître", percevoir ce qu'il a de plus individuel, nul de nous ne pourra jamais prendre conscience que de son côté non individuel et "moyen". »

Freud poursuivra cette interrogation nietzschéenne par l’élaboration de son concept phare, celui d’"inconscient", sans trop vouloir prendre en considération la dimension collective et culturelle de l’in-conscient nietzschéen. Le romantisme allemand du XIXe siècle pouvait-il se souvenir que la "passion" qu’il élève au rang de vérité ultime du sujet en acte est historiquement liée à la notion de "passivité" ?

Les passions nous passivent, nos pensées premières relèvent de l’évidence doxique du troupeau ruminant ses obsessions collectives, seul un travail incessant du langage et des signifiants (idéologiques) maîtres croisés sur notre chemin, et qui dès lors nous constituent comme sujet, permet d’entr’apercevoir non pas simplement l’inconscient freudien refoulé, mais l’inscient augustino-nietzschéo-lacanien niché dans la superficialité de la dite profondeur subjective… (Voir aussi la notion d'"Inscient" construite sur une traduction personnelle de l'utilisation du latin "nescio" par ce même Augustin, cf. l'article L’Égalitarisme à l'heure des Inégalités? La perte du Nord comme Pôle? La Crise? L'Inscient !... Saint-Augustin, Jérôme Ferrarri, Arnaud Desplechin...)

Augustin d'Hippone, le philo-soufi du paléo-christianisme...

Augustin d'Hippone, le philo-soufi du paléo-christianisme...

La culpabilité judéo-chrétienne est un héritage augustinien. Contrairement à une idée répandue, elle est un progrès de la civilisation de l’esprit, et PHC, lecteur de Charles Taylor, rappelle qu’« Augustin est l’inventeur, en Occident, de l’intériorité du soi : elle repose sur la substitution de la volonté libre à l’ordre final du Cosmos où l’être ne pouvait que précéder et donc guider le vouloir. L’expérience morale, via l’introspection, est ainsi devenue chez Augustin la mesure de toute chose. » (p. 84)

Opposant voluntas et concupiscentia, trace de son manichéisme proto-augustinien, Augustin n’est surtout pas réductible à l’image du mauvais coucheur ou du vieux grincheux auquel il est parfois associé. Si la libido sexuelle y est condamnée ce n’est pas pour contraindre le chrétien à une vie morne et triste, c’est pour l’éveiller à autre chose, une "volonté" supérieure, "libre", et donc spontanée, authentique, véritable. Avec Augustin il ne s’agit pas de fuir le sexe, mais de faire l’expérience de ce en quoi Eros, par Cupidon son bras armé, sollicite davantage la cupidité ou la jouissance qu'elle n'éveille à Agapé, l'amour chrétien inconditionnel et désintéressé de son prochain. Comme le rappelait Gainsbourg, célèbre augustinien de la fin du XXe siècle, « l’amour physique est sans issue ».

Je t’aime moi non plus, par Gainsbourg, l’obsédé augustinien…

Si la concupiscence est une faute, c’est d’abord une faute de la pensée, qui prend l’ardent désir de complétude pour le désir véritable, là où Augustin, lacanien avant l’heure, pointait que seule la foi permet à la concupiscence de condescendre à la volonté. Paraphraser rétrospectivement Lacan à travers le vocabulaire augustinien fonctionne parfaitement, et signe probablement la dette de Lacan à l’égard d’Augustin. La formule lacanienne, « seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir », indique le triple déplacement sémantique qu’opère la laïcisation moderne du christianisme augustinien : de la "foi" à l'"amour", de la "concupiscence" à la "jouissance" et de la "volonté" au "désir", avec dans la foulée la possibilité de contresens multiples…

L’inventeur de la psychanalyse, ce n’est donc pas Freud, mais Augustin, berbère chrétien de Numidie, et en plus il était lacanien !

La psychanalyse freudienne se veut pourtant l’envers du refoulement de la libido sexuelle. Freud y oppose un "désir sexuel", siège d’une volonté subjective immanente, à l’"idéal" comme contrainte normative mortifiante. Comment se fait-il que Freud réinvente la psychanalyse comme contrepoids à la redoutable logique du "pécher originel" alors même que le fondateur du même pécher se reconnaitrait tout-à-fait dans le corpus lacanien ? Augustin était-il devenu "obsolète" ?

C’est ici que PHC l’anthropologue est précieux. Par son soucis de toujours resituer les évolutions conceptuelles au sein des contextes historico-épistémologiques de chaque époque, il cherche à déjouer les anachronismes et faire tomber les évidences fausses. L’erreur est ici de confondre l’élaboration augustinienne avec ses développements ultérieurs, entre Réforme et Contre-Réforme. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le pécher originel déclenchera l’épidémie de scrupulosités, alors que la question du "salut" déchirait un christianisme d’Etat patriarcal et autoritariste contesté par des minorités opprimées

Jusque-là cantonnées à l’aristocratie cléricale, les scrupulosités se démocratisaient

Les schismes témoignent du croisement de données politiques, institutionnelles, et conceptuelles. C’est à ce croisement que revoie le terme de culture, que PHC nomme « fait moral total », soulignant que sa logique totalisante ou totalitaire tend à diffuser et envahir tous les espaces et tous les champs d’une époque. L’"égalitarisme" en est une version contemporaine, interdisant toute forme de "discrimination", qu’il s’agisse de "mariage pour tous" ou d’"égal accès des handicapés" aux cabinets des médecins dits "libéraux", imposant par la loi à ces derniers la réalisation et le financement de travaux d’aménagement parfois pharaoniques (je viens de recevoir un courrier de l’Ordre des Médecins m’informant de mes obligations nouvelles). Le citoyen recevant du public lors de rencontres privées à domicile sera-t-il bientôt obligé par l’Etat d’installer un ascenseur pour que ses amis handicapés ne souffrent pas de discrimination? Où s’arrête le public, quand commence le privé ? Ces questions concernant le consentement subjectif deviennent inaudibles lors du passage en force d’un "fait moral total"

@+serge.aron.over-blog.com

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M
Souffrez, que par jeu, je relève, encore, dans votre réponse, une surprise qui interroge...Ce &quot;plaider coupable&quot; se&quot; prend les pieds dans le tapis&quot; si j'ose dire.<br /> En lieu et place d'un féminin ,&quot;cet orthographe fautif du péché originel&quot; ? <br /> Certes il faut aller au delà d'une distinction manichéenne, f/m, mais comme vous le précisez féminin et masculin ne sont pas interchangeables! Il y a dans l'orthographe de l'arbitraire . Y aurait-il de l'indécidable dans cette affaire orthographique aussi? <br /> C'était juste pour causer.
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S
Pour causer quoi, chère MM? <br /> Si graphe est masculin, orthographe est féminin...<br /> Curieux...<br /> Faudrait-il que j'en souffre, en plus?<br /> Y'en a qui voudraient poursuivre leurs séances en douce que ça ne m'étonnerait pas... ;)
M
Juste une petite remarque sur ce &quot;pécher originel&quot; qui dans votre élan pèche contre l'orthographe commune!!!<br /> Ce &quot;pécher originel&quot; serait -il gros d'un désir transgressif inconscient à l'oeuvre ? promesse d'un fruit mûr? ou rançon de la liberté humaine? tout simplement.....
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S
Très juste, je plaide coupable pour cet orthographe fautif du péché originel!<br /> Peut-être traduit-il l'infinitif du verbe comme acte contestataire plutôt que la passivité d'un participe passé victimaire?<br /> Le péché originel, ou pécher original, c'est pour moi la tentation d'une solution finale manichéenne, d'une doxa définitive, d'une gnose insolente ayant la prétention d'échapper à l'obsolescence doxique. L'envers du réel de la paradoxalité que seul un agnosticisme courageux permettrait de souffrir...